La colère gronde !

Jours de colère
Sylvie Germain Éditions Folio Gallimard Prix Femina 1989

Intrigué par la polémique autour du choix d’un extrait de Jours de Colère, pour le proposer à la sagacité des prétendants au bac de français 2022, j’ai décidé de lire ce roman, ignorant jusqu’alors l’existence de Sylvie Germain, l’auteure qui a fait les frais d’une décision qui ne lui appartient pas.
Et là, BINGO ! 
Jours de Colère est un conte lyrique et moral stupéfiant, reposant sur une ode à la nature et à ceux qui l’habitent ; «De loin en loin se serait levé le chant bref d’un bruant, le sifflement d’une grèbe ou la mélodie d’un loriot, et tout comme chaque arbre aurait été doublé d’un éternel reflet chaque chant d’oiseau aurait été accompagné de son écho , et dans l’eau chaque poisson aurait mangé en compagnie de son ombre».
Une nature de «forêts sur les hauteurs d’un socle de granit», dans le Morvan profond dans la région de Clamecy, où vivent les bourgeois exploitant les forêts alentours et des paysans vivant «davantage dans les forêts que dans leurs hameaux, où certains campaient au bord des rivières lorsqu’ils accompagnaient le flottage à bûches perdues»
Dans ce décor de «granit hérissé de forêts sombres, percé de sources et d’étangs, clairsemé de chaos et de prés cloisonnés de haies vives et de hameaux tapis dans les ronces et les orties.», s’affrontent les humains vivant de l’exploitation du bois.
«Tous les hommes étaient bucherons, bouviers et flotteurs à la saison du lancement des bûches (…) les femmes et les enfants participaient aux travaux d’ébauchage, d’écorçage, de ramassage de petit bois et de fabrication de fagots d’allumage.»
Ambroise Mauperthuis, flotteur de bois devenu propriétaire des «forêts de Saulches, de Jalles et de Failly» ; dont il a dépouillé son ancien employeur Vincent-Corvol par une basse manoeuvre qu’il tait mais que la rumeur rend plus mesquine, plus sale et plus machiavélique…
Ambroise a déshérité son fils Éphraïm après que ce dernier ait annoncé sa volonté d’épouser Reine La Grasse fille d’Edmée et de Jousé Verselay des paysans travaillant pour Ambroise et vivant à la Ferme-Du-Bout .
Neuf enfants naîtront de l’union d’Éphraïm et Reine.
Servi par une écriture flamboyante qui étourdit le lecteur d’images, de symboles, de sentiments, le récit relate le combat du bien contre le mal sous toute ses formes.
De la religion du dogme contre la religion de l’amour sans limites du prochain.
De l’amour des arbres contre l’amour du gain.
De l’amour contre la haine.
De la recherche de la vérité contre le mensonge.
Pas étonnant qu’une partie de nos chères têtes blondes nourries de réseaux sociaux, de télé réalité et autres procédés technologiques plus nocifs au raisonnement les uns que les autres ait pété un câble en lisant :
«Ils étaient hommes des forêts. Et les forêts les avaient faits à leur image. À leur puissance, leur solitude, leur dureté. Dureté puisée dans celle de leur sol commun, ce socle de granit d’un rose tendre vieux de millions de siècles, bruissant de sources, troué d’étangs, partout saillant d’entre les herbes, les fougères et les ronces. Un même chant les habitait, hommes et arbres. Un chant depuis toujours confronté au silence, à la roche. Un chant sans mélodie. Un chant brutal, heurté comme les saisons, — des étés écrasants de chaleur, de longs hivers pétrifiés sous la neige. Un chant fait de cris, de clameurs, de résonances et de stridences. Un chant qui scandait autant leurs joies que leurs colères.»
Admirable et je pèse mes mots !

Comment la droite a perdu la Vème République (1976-1981)


La fin de règne de Pierre-Frédéric Charpentier aux éditions du Félin – collection Histoire et Société – 2021
Une analyse très complète et très bien documentée sur les raisons de l’échec de VGE à se faire élire pour un second mandat le 10 mai 1981.1974, VGE est élu tambour battant (comme en témoigne le film de Depardon sur sa campagne) et fait de l’élimination de l’état UDR l’un des axes de sa campagne.
Il a su capter la volonté de changement de la société française – 53 % des femmes ont voté pour lui contre 47 % pour Mitterand, de même 55 % des inactifs, 63 % des cadres supérieurs et 70 % des agriculteurs. Des scores que les 52 % de cadres moyens et employés et 67 % d’ouvriers en faveur de Mitterand ne parviennent pas à contrebalancer.Tous les feux sont au vert pour VGE. Mais voila, il y a un hic qui s’appelle l’UDR et deviendra le RPR…On connait la suite !Pour l’UDR, VGE est un traitre il y a eu son « oui mais » et « l’exercice solitaire du pouvoir » en 1967, pour qualifier la politique du Général de Gaulle, et l’appel à voter NON au référendum de 1969 qui s’est traduit par le départ du Général.L’auteur documente très bien l’épisode Chaban, candidat malheureux abandonné par ses compagnons gaullistes. Considéré comme un social-démocrate par Pierre Juillet et Marie-France Garud, les deux stratèges qui poussent Chirac à la trahison et choisissent VGE pour éviter que la droite ne perde. Chirac premier ministre UDR va en baver des ronds de chapeau confronté à VGE et sa clique (Michel Poniatowski et consort) à laquelle il réserve des informations qu’il ne transmet pas à son premier ministre.
On connait la suite, qui a trahi sera trahi…Les suites de de la démission de Chirac sont ravageuses :
Le 5 décembre 1976, Porte de Versailles, devant 50 000 personnes, « Jacques Chirac se voit triomphalement élu président du RPR avec 96,52 % des suffrages. »
À la société libérale avancée de VGE, il oppose une « démocratie du quotidien » apte à repousser les deux fléaux qui menacent la France : le « collectivisme » et le « renoncement » – Autrement dit, le programme commune la gauche et le giscardisme. »
VGE déclare « Chirac a tout de Perón. » ; Roger Chinaud parle de « national-chiraquisme » et Jean-Pierre Fourcade, « Le Rassemblement c’est Nuremberg. »
La messe est dite !En 1977, Chirac remet le couvert en se présentant contre Michel d’Ornano, poulain de VGE, à l’élection du maire de Paris.
Au journal de 20 heures de TF1, Chirac déclare « Je viens dans la capitale de la France parce que, dans notre histoire, depuis la révolution de 1789, chaque fois que Paris est tombé, la France a été vaincue. »
Élu en mars, dès le mois de juin, Chirac reçoit Brejnev à la Mairie de Paris à l’occasion d’une visite officielle de ce dernier en France…Avec la nomination de Raymond Barre, considéré comme un technicien avec tout ce que cela a de péjoratif dans la bouche des politiques, au poste de 1er ministre, les choses ne s’arrangent pas : Les échanges d’amabilité avec ce dernier, présenté comme le meilleur économiste de France par VGE, se font par courrier « Ne dites pas, monsieur le Premier ministre que vous n’êtes pour rien dans la constitution du front anti-RPR » écrit Chirac.Malgré ces escarmouches permanentes, le soleil brille à nouveau dans le ciel giscardien avec la création de l’UDF en 1978, et contre toute attente le bon maintien de cette fédération de partis et d’associations, aux législatives de 1978. le RPR perd 29 députés et l’UDF en gagne 4. Même si VGE perd son pari de voir l’UDF remporter ces élections, la droite avec 277 députés contre 199 pour la gauche qui pâtit de ses divisions, reste au pouvoir. Et RPR + UDF constituent, malgré les rancoeurs, une majorité présidentielle. Voire !« Le lundi 13 mars, à la réouverture de la bourse, les valeurs françaises font un bond de 9,06 %, tandis que le Franc regagne entre 1,5 et 3,5 % face aux monnaies étrangères. »« Le « Programme de Blois » de Raymond Barre a constitué l’assise de la campagne giscardienne. »Paix armée ou guerre ouverte ? Chacun des protagonistes regarde l’autre en chien de faïence, personne n’osant faire le premier pas vers la rupture. Encore 3 années à patienter…Mais ce qui est sûr, c’est que le RPR revendique être l’acteur principal de la victoire de la droite !
L’élection de Jacques Chaban-Delmas au perchoir sera une couleuvre de plus pour le RPR.En 1979, la question de l’Europe ravive la guerre Giscard-Chirac, le fameux « Appel de Cochin » lancé par Chirac depuis son lit d’hôpital stigmatisant « le parti de l’étranger », une initiative appuyée et encouragée par les durs du RPR (Juillet, Garaud, Pasqua, Tibéri, Guéna, Devaquet Sanguinetti…)
Yves Guéna écrit « (…) on l’a vu par exemple en 1940. Il y a eu. Un « parti de l’étranger » dans tous les partis. À droite (…) avec Maurras (…) au sein du parti radical avec les « Munichois » (…) qui firent partie du gouvernement Pétain.»
Hélas, l’UDF remporte haut la main les élections européennes, leur liste menée par Simone Veil remporte 26 % des suffrages, celle du RPR 16 %. C’est la fin des illusions, le départ du couple Juillet Garaud et l’entrée, dans l’entourage immédiat de Chirac, des jeunes du RPR (Juppé, Toubon(, accompagnés des anciens Pasqua et Balladur.Mais c’est du côté de l’économie que vient la menace. Pour faire face à l’enchérissement du prix du pétrole, la diplomatie française joue un double jeu qui se retournera contre le pays, négociation d’un prix raisonné du baril avec le Shah d’Iran et accueil de l’Ayatollah Khomeyni à Neauphles le Château…
C’est dans ce contexte que vont se mettre en place les prémices du scandale des avions renifleurs qui éclatera avant la campagne présidentielle de 1981.
Le RPR est à la manoeuvre pour fustiger la politique de Raymond Barre, relayé par l’opinion dans des manifestations où un slogan populaire moque la succession des plans Barre : Barre 1, Barre 2, barres toi !Raymond Barre est obligé de dégainer 4 fois le 49.3 pour parvenir à faire voter le budget 1980.
Charles Pasqua porte un diagnostic sévère sur le docteur Barre « L’opération a réussi mais le malade est mort. »Au sein du gouvernement, le meilleur économiste de France est contesté par Robert Boulin, un gaulliste sociale dont les avertissements sur les effets néfastes de la politique d’austérité ont de plus en plus l’oreille de VGE.
Ce dernier ne franchira jamais le pas et Barre restera 1er ministre jusqu’en 1981…VGE louvoie et s’éloigne de plus en plus des promesses de 1974, abolition de la peine de mort repoussée, loi sécurité et liberté poussée par Alain Peyrefitte.
Parallèlement les affaires « Broglie, Boulin, Bokassa et Copernic (minent) la fin de régime » sans compter « les virées nocturnes du nouveau président » ; ni « les chasses fastueuses en Sologne ou en forêt de Rambouillet. »Le président sortant annonce sa candidature à la télévision, le 2 mars 1981 aux côtés de son épouse Anne-Aymone « Je ne serai pas un Président-candidat, mais un citoyen-candidat. »
Très vite sa campagne patine, il refuse de la faire sous la bannière UDF. le soutien de la Pravda à VGE dans le contexte de l’invasion de l’Afghanistan ne joue pas en sa faveur. Son bilan, avec la hausse du chômage n’est guère vendable. VGE croit en la pertinence de ses analyses qu’il a développées dans « Démocratie Française », mais comment incarner le changement après ces 7 années passées à l’Élysée ?L’attitude ambigue du RPR face au PS, l’abandon du Programme commun au profit des 110 propositions du candidat Mitterand, la dispersion des lectorats entre VGE, Mitterand, Chirac et Marchais fait qu’au soir du 1er tour, le 26 avril 1981, la défait est prévisible, Charles Pasqua n’avait-il pas déclaré«  « Si en avril, au premier tour, nous nous retrouvons dans le schéma Giscrad/Mitterand, Giscard sera battu : il aura contre lui au deuxième tour 70 % des voix communistes et 25 % des voix de Jacques Chirac. de toute façon, la solution est entre nos mains. »Un livre passionnant ! 
S’il traite d’une élection qui a déjà 40 ans, il montre de façon éclairée que les fractures actuelles au sein des partis politiques et dans l’électorat trouvent en partie leurs origines dans cette guerre fratricide des droites depuis 1974 et l’opposition Chirac/Giscard.
Je l’ai d’autant plus apprécié qu’il traite d’une époque où j’ai voté pour la 1ère fois aux présidentielles de 1974.
Les dernières pages proposent une chronologie détaillée, une bibliographie impressionnante, et un index des noms fort utile.
Une somme et une référence. 
Merci Pierre-Frédéric Charpentier. Merci Masse Critique et les éditions du Félin.

Dans les ruines d’Eira

Tu marches parmi les ruines, Tyler Keevil, Éditions Seuil – Carré Noir – 2022

Eira est mariée à Tod. Ils ont une vie sans histoires. Tellement sans histoires qu’elle en devient ennuyeuse. 
Tod, en bon universitaire, vit dans l’atmosphère de ses romans russes, « héroïnes délaissées ou trahies (…) personnages trop ennuyeux ou pleurnichards ou fatalistes. Trop résignés. »
Eira mesure sa distance avec cet univers qu’elle trouve factice.
La mort accidentelle de Tod met un terme à la vie sans saveurs du couple. 
Eira décide alors de prendre un  » (…) temps si indolent qu’il pouvait aussi bien s’être arrêté. »
Elle revient sur sa vie d’autrefois – « Et tu te mentais même lorsque tu ne mentais pas. Tu te mentais à toi même. » – et décide de ne plus se mentir. de ne plus mentir à personne.
Elle ne veut plus vivre comme si les événements de la vie arrivaient « (…) à quelqu’un d’autre. A un toi qui n’est plus toi. « 
Le roman est écrit à deux voix, un JE qui disparait en donnant la parole à un TU et précise qui est JE qui est TU, aux moment cruciaux de l’histoire, souvent à la fin de chacune des trois parties qui constitue le récit à la façon avant, pendant, après, épilogue.
En dire plus conduirait à dévoiler le contenu et le pourquoi de l’histoire et ne serait pas élégant vis à vis des futures lecteurs.
Pour faire simple : après la mort de Tod, Eira quitte Londres pour Prague – d’où est originaire son grand-père et où Tod l’a demandée en mariage – Là, elle se retrouve prise dans un imbroglio qu’elle a créé par facilité et dont elle décide de sortir lorsqu’elle découvre qu’elle va commettre un acte que sa nouvelle morale réprouve. 
Mais elle ne mesure pas les conséquences de sa décision. « Tu crains un peu que ce soit un autre faux pas, une autre erreur. Mais c’est tout ce que tu as, et c’est ce que tu as décidé de faire. »
Le roman nous interroge sur la notion de morale, notre perception du bien et du mal, et notre aptitude à nous engager pour l’un ou à rester passif au profit de l’autre quand bien même nous ne le commettons pas.
« Comment certains d’entre nous peuvent-ils être si faibles, et d’autres si courageux. »
Le JE qui intervient à ce moment là ne juge pas. Il montre que l’histoire du monde est le résultat de la confrontation permanente de ces deux attitudes. 
En voguant sur la Vtlava à hauteur de Terezin, l’antichambre des camps, Marta la nouvelle amie de Eira dit pour exonérer son ignorance « Voila ce que font les humains. (…) Impitoyable, brutal, indéniable. Il n’y a pas d’explications, pas de mots. Inutile d’en parler plus longtemps. »
La forme de la narration embarque le lecteur dans le périple d’Eira cherchant à fuir la réalité qu’elle a contribué à créer.
Il vit avec elle les affres de ses interrogations, subit comme elle les conséquences de ses décisions hasardeuses, passe de l’enthousiasme à la peur, se sent « Telle une truie insipide dans un fourgon à bestiaux, on t’emmène vers ta destination finale, malgré toi, contre ton gré, mais sans réel espoir de fuite. »
Une lecture réflexe que l’on fait à l’unisson des tâtonnements d’Eira dans ce nouvel univers loin de sa vie d’autrefois.
Plusieurs fois dans le roman Tyler Keevil fait référence au Pendule de Newton dont les sphères s’entre choquent dans un mouvement perpétuel, mues pas une force extérieure.
Merci à Masse Critique et aux éditions Seuil – Cadre Noir – de m’avoir permis de découvrir cet auteur.
Un livre dont je conseille la lecture car il est plus qu’un simple polar. Qu’on se le dise !

Michel Houellebecq a-t-il anéanti ses lecteurs ?

Chronique du 31 décembre 2021, Anéantir de Michel Houellebecq, Flammarion éditeur 7 janvier 2021

730 pages de rêves. Un simili thriller politique genre méditation plus métaphysique que transcendantale. Une fois de plus le « génie littéraire français » se joue de nos questions angoissantes d’homme blanc engoncé, qui dans un costume trois pièces Hugo Boss, qui dans un chino soldé chez Bexley, magasin du boulevard Henri IV, qui dans un modèle 501 de Levis, braguette à boutons, moins pratique pour pisser, qui dans un polo Ralph Lauren manches longues. La liste n’est pas exhaustive, j’oubliais les fumeurs de Marlboro, contrebande espagnole remontée par des Fast Tracks, revendue trois fois son prix d’achat sur les boulevards.
Comment ce diable d’auteur sait-il que j’angoisse en 2027, façon 2022, avec un Zemmour tonitruant qui s’invite dans le débat comme un Judas honteux, le Pen qui dévisse façon cruciforme, Pécresse en belle-fille adorée des mères françaises, Macron égal à lui-même et une gauche en capilotade comme le nez et les joues d’Athanase Georgevitch le héros de Gaston Leroux dans Rouletabille chez le tsar, après l’éclatement de la bombe.
Je suis Paul Raison, 47 ans, haut fonctionnaire au ministère de l’économie et des finances, et mon père, Edouard, ancien agent secret est en train de mourir, alors que des attentats se déploient sur le territoire, ceci n’ayant rien à voir avec cela sauf pour l’homme blanc que je décris dans le premier paragraphe de cette chronique…
Ma femme, Prudence, ressemble à s’y tromper à Carrie-Anne Moss, l’actrice qui joue Trinity dans Matrix. Elle pourrait être une mère idéale pour les enfants que je désire mais je ne me résous pas à lui en faire un, non par conviction rousseauiste (je parle de Sandrine, pas de Jean-Jacques, vous l’aurez compris…) mais par simple angoisse plus qu’existentielle.
J’ai tout pour être heureux, Bruno (oui le vrai, mon patron) va se présenter au poste suprême dans la hiérarchie politique française et devrait m’emmener à l’Elysée dans ses valises…
Autrefois, il m’est arrivé de prier en l’église Notre-Dame-de-la-Nativité de Bercy, quai oblige, et je me repais toujours des paysages du Beaujolais et de leur production vieille de décennies sinon de siècles, malgré la farce annuelle du troisième jeudi de novembre qui sacrifie au désir de nouveauté des populations du monde entier.
Si vous êtes en train de lire « Certains lundis de la toute fin novembre, ou du début décembre, surtout lorsqu’on est célibataire, on a la sensation d’être dans le couloir de la mort. » vous n’êtes ni au bout de vos peines, ni au bout de vos surprises, vous avez la chance, heureux élus de l’aristocratie littéraire et journalistique, de commencer à vivre la vie de Paul Raison qui pour les lecteurs plébeïens verra le jour le 7 janvier…

Ajout du 31 janvier 2022 :
Après cette première lecture, j’ai scanné le texte, en reprenant mes notes de lectures, possibilité incomparable offerte par les fonctions de la liseuse.
J’ai retrouvé les nombreuses références aux symboles des années 1970-1980 et j’en ai fait deux quiz que vous pourrez jouer :
https://www.babelio.com/quiz/58162/Aneantir-la-nostalgie-Houellebecq
https://www.babelio.com/quiz/58181/Aneantir-la-nostalgie-Houellebecq-2

Anéantir contient plusieurs romans et plusieurs clefs de lecture :
– Le récit des attentats terroristes qui reste inachevé
– Le récit de l’élection présidentielle de 2027 à laquelle le Président en exercice ne peut se présenter puisqu’il a été réélu en 2022 (suivez mon regard). On y voit le président pousser la candidature d’un certain Benjamin Sarfati dont le « niveau en économie est celui d’un BAC G »…il est pour cette raison associé à Bruno Juge (avatar de Bruno LeMaire)…La coach Solène Signal, présidente du cabinet de consultant Confluences, se charge de faire monter les deux candidatures en puissance..
– Les rêves de Paul Raison émaillent le récit, et l’on croirait à des exercices imaginées par Sigmund Freud lui-même pour entraîner ses disciples à l’interprétation des rêves…
– Les histoires des différents couples est aussi un fil conducteur qui permet de mettre en perspective l’évolution des relations hommes femmes et de la lancinante question de la place de l’amour et du sexe dans notre société.

De ces différents points de vue, le roman réalise une coupe transversale des raisons qui ont conduit la société française à évoluer des trente glorieuses insouciantes à la société anxiogène que nous connaissons.
On retrouve dans Anéantir, mises en situation, nombre d’analyses proposées par Jérôme Fourquet dans L’archipel français…

C’est un roman à lire que l’on soit houellebecquien ou pas !

Amour et trahison, l’histoire éternelle de la planète

INESTIMABLE de Zygmunt Miloszewski, Éditions Fleuve 14/10/2021
Comme la chanson qu’il fait interpréter à Martin Meller l’un de ses personnages, le roman de Zygmunt Miloszewski nous parle de « l’amour, la trahison et (de) tous les gens qui (ont) un jour vécu sur cette planète. »

Avec Inestimable, l’auteur montre l’étendue de ses talents d’écrivain, il nous livre une vision du monde où la fiction n’est jamais très loin de la réalité. Les méchants soucieux de leur pouvoir et de leurs gains, sont assez très proches des naïfs qui s’ingénient, eux, à vouloir faire le bonheur de l’humanité malgré elle.

Côté amour nous avons Zofia Lorentz, l’ex directrice du Musée national de Pologne (un des personnages du précédent roman Inavouable), remerciée sans ménagements par le nouveau pouvoir conservateur au motif d’une photo jugée indécente…Comme un malheur n’arrive jamais seul, son mari Karol Boznanski souffre de troubles de la mémoire qui laissent supposer le début d’un Alzheimer ou d’une démence sénile…

Aussi, lorsqu’elle rencontre Bogdan Smuga, un chercheur qui se présente comme le descendant de Benedykt Czerski un scientifique Polonais exilé sur la presqu’île de Sakhaline au début du XXème siècle par l’occupant russe de l’époque, elle ne peut refuser sa proposition de travail.

Benedykt aurait-il découvert le secret de la longévité hors norme des habitants de cette partie de la Sibérie ? C’est ce que laisse entendre Bogdan à demi-mots…

Côté trahison les prétendants ne manquent pas entre ceux qui veulent accaparer une découverte qui garantirait les profits juteux des groupes pharmaceutiques et les rêveurs souhaitant verser cette découverte au patrimoine de l’humanité…quoiqu’il en coûte…

« — Bronisław, je ne veux pas me disputer avec toi. Pas à ce sujet-là, pas maintenant. Je te dis seulement que Czerski peut apporter une fortune à notre cause. »

Miloszewski montre que les mécanismes de conservation du pouvoir sont les moteurs de toute idéologie au motif, j’ai raison  et pour le démontrer je dois non seulement conserver le pouvoir mais aussi éliminer ceux qui ne pensent pas comme moi.

Dans un tourbillon d’aventures dont il a le secret et qu’il manie avec virtuosité Myloszewski entraine ses personnages et le lecteur avec, de la Sibérie du début du XXème siècle à la Pologne et à l’Europe du XXIème, de Paris aux Pyrénées et en Afrique.

Au delà de l’intrigue qu’il serait malséant de vouloir réduire à une simple intrigue policière, l’auteur interroge, souvent avec une dérision de bon aloi et beaucoup d’humour,  notre rapport à la religion, à l’état du monde et à nos pulsions nationalistes et chauvines.

Le roman, ce qui fait tout son sel,  est par ailleurs truffé de références et de clins d’oeil, Lisa Tolgfors lit sur les ossements des morts d’Olga Tokarczuk, une bibliothèque organise une rencontres avec Olivier Norek, Bogdan Smuga lit Clive Clusser…

Zygmunt Miloszewski, pour notre plus grand bonheur, joue de son rapport à la Pologne de sa vision des relations entre la France et la Pologne.

Il nous rappelle que l’on a enterré « (…) au cœur du cimetière Montparnasse (…) Henryka Pustowójtówna (…)  l’insurgée polonaise »

Et que la gastronomie française révèle bien des surprises : (à propos du cassoulet) « Comme toujours lorsqu’il entamait ce plat, il était rassasié après les trois premières bouchées. Pour qui avait-on inventé ce truc, sérieux ? Pour les forçats qui pavaient des routes sur les versants des Pyrénées en plein hiver ? Qui, bon Dieu, avait besoin d’autant de calories concentrées dans une seule assiette ? »

« Elle mangea – selon les préceptes du dieu de France – un croissant avec un café crème au petit déjeuner, puis elle partit d’un pas nonchalant »

« Elle permettrait encore à un mauvais serveur de lui apporter un excellent déjeuner dans l’un des restos du 5 e  arrondissement »

« Pire, plus il habitait en France et plus les petits déjeuners polonais lui manquaient.  »

La puissance évocatrice de l’écriture, le découpage de l’histoire, la truculence des personnages, les rebondissements jamais téléphonés, les situations dramatiques dans lesquelles se retrouvent les héros donnent aux scènes une dimension cinématographique qui fait dire au lecteur j’aimerai voir un film aussi passionnant qu’un roman comme Inestimable…

On attend la suite avec impatience…

Une mutation mais toujours les mêmes valeurs !


La mutualité sociale agricole 1981-2015 de Christian Fer – Editeur Comité d’Histoire de la Sécurité Sociale
Ouvrage de spécialistes pour des spécialistes, la dernière livraison du Comité d’Histoire de la Sécurité Sociale s’intéresse à une partie du droit de la Sécurité Sociale peu connue du public, celle concernant la protection sociale des agriculteurs et des salariés agricoles gérée par la Mutualité Sociale Agricole.
L’histoire de la sécurité sociale agricole est à l’image de l’histoire des agriculteurs en France.
Soucieux légitimement de ne pas être broyés dans le grand régime de sécurité sociale voulu par le CNR à la sortie de la guerre, les agriculteurs ont tout fait pour sortir des ordonnances de 1945, et ont accepté des années durant de troquer leur liberté institutionnelle contre une protection sociale moins protectrice que celle des salariés mais qui prenait en compte les spécificités de la profession, et ses capacités contributives.
C’est ainsi qu’est née la MSA, organisme professionnel géré par des agriculteurs et des salariés élus et organisme de sécurité sociale.
Cette ligne politique a été défendue entre les années 1945 et 1980 qui ont vu la protection sociale des salariés améliorer la prise en charge de nombreux risques tout en visant la généralisation de la couverture dès 1978.
Mais l’évolution du style de vie des agriculteurs, la pression de la PAC, la demande de protection de plus en plus forte, amène la profession a repenser sa conception de la protection sociale. 
La loi d’orientation de 1980 esquisse les prémices de ce qui fondera une protection sociale agricole de plus en plus proche de celle du standard français.
L’intérêt de l’ouvrage réalisé par Christian Fer est de s’intéresser à cette période novatrice 1981-2015 durant laquelle les droits des agriculteurs, mais aussi leurs obligations sociales vont croitre et répondre à une demande légitime de la profession.
La MSA a su faire preuve d’originalité et d’innovation pour prévenir la résolution des besoins et accompagner la mise en oeuvre de lois jugées parfois contraignantes.
On peut citer parmi elles le passage d’une assiette cadastrale de cotisations à une assiette revenus professionnels, l’abandon du système de forfait fiscal, le passage à la retraite à 60 ans, la création d’un régime de retraite complémentaire pour les agriculteurs, celle d’un système d’indemnisation des Accidents du Travail, le versement d’indemnités journalières et l’amélioration du congé maternité des agricultrices pour ne citer que quelques exemples.
L’autre intérêt de l’ouvrage est de donner une large part aux débats internes à la profession et aux débats parlementaires sur la préparation des lois dont le lecteur saisit ainsi mieux l’esprit.
Le tour de force de l’auteur est de faire tenir 30 ans d’histoire en 600 pages sans faire d’impasses majeures sur le déroulement des événements…
Pascal Cormery, actuel Président de la CCMSA écrit dans la postface de l’ouvrage :
«La MSA évolue au service de ses ressortissants en jouant pleinement son rôle dans l’organisation du monde agricole et rural, mais aussi dans celle de la protection sociale de demain !»
Laissons les mots de la fin à l’auteur :
« cette évolution, mouvementée à certains moments, était inéluctable. Cependant, elle serait arrivée bien plus brutalement si la population agricole avait été gérée par le régime général. Les progrès en matière de protection n’ont pu se faire à cette période-là que parce que la MSA était la MSA »
Une somme titanesque !

L’oiseau bleu d’Erzeroum (Tome premier)

Roman de Ian Manook

En faisant dire à l’un de ses personnages, «  Nous ne sommes que des fétus de paille pour ceux qui s’amusent à agiter les courants », l’auteur nous entraîne dans le tourbillon de l’histoire, celui de sa propre grand-mère qui a vécu dans sa chair la descente aux enfers de l’Arménie orchestrée avec cruauté par le gouvernement turc de l’époque.
La force de ce récit est de nous donner matière à réflexion sur cette période du XXème siècle. Avec le traité de Sèvres, l a Grèce, la France, du Royaume Uni et l’Allemagne, ont contribué à créer une situation qui contient dans sa logique le déplacement inexorable des populations, l’exacerbation du nationalisme turque et le sentiment d’impunité qui va avec.
C’est seulement avec Kemal Attaturk que les conflits ethniques prendront fin, mais le mal était déjà fait. Et même si le Président turc reconnait 800 000 victimes, il ne fait rien pour honorer leur mémoire.
Ces éléments historiques sont amenés avec justesse et pertinence via l’histoire d’un groupe de personnages que l’on a du mal à ignorer et à oublier.
Les victimes du génocide tout d’abord, les soeurs jumelles, Araxie et Haïganouch, leur grand-mère Gaïanée, jetées hors de leur maison et contraintes à rejoindre un convoi d’Arméniens expulsés. Dès lors elles ne sont rien que du bétail humain soumis au bon vouloir des soldats turcs censés « protéger » le convoi. 
« Bientôt le chef des Kurdes (…) place quatre cavaliers sabre au clair à l’arrière de la colonne avec ordre de tuer ceux qui traînent. Les premiers à tomber (…) sont les enfants des femmes mortes. »
Heureusement pour elles, les deux soeurs se retrouvent sous la protection d’une vieille femme, Chakée, qui se fait passer pour leur grand-mère.
Elles en sont réduites à « récupérer les graines mal digérées par les chevaux » dans « les crottins séchés au soleil »
Il y a ensuite ce capitaine kurde qui fait preuve d’humanité. Les pasteurs allemands qui prennent fait et cause pour les arméniens. 
Puis, Agop et Haïgaz, les deux jeunes arméniens, assoiffés de vengeance qui vont croiser la route des deux soeurs. 
Le récit se cristallise autour de l’histoire de ces quatre personnages qui vont se trouver confrontés à une question universelle, où se trouve la frontière entre le bien et la mal ?
Entre l’officier kurde qui laisse une chance aux deux jeunes soeurs et Agop qui tue froidement un marin turc alors que celui-ci était un Arménien voulant donner le change pour échapper aux gendarmes, ou se situe cette frontière.
L’histoire de l’oiseau bleu est aussi l’histoire du XXème siècle et des tous les mouvements migratoires qu’il a connu, nombre d’entre eux échouant en France ou en Angleterre et constituent le fondement de notre histoire sociale et politique;
On va retrouver les deux soeurs et leurs deux compagnons en France, travaillant dans des filatures, participants aux mouvements sociaux et apportant leur culture à celles de leurs amis nouvellement trouvés.
Le roman raconte aussi L’histoire de la France, de ceux qui ont fait la France, les 1ères lignes, ouvriers, blanchisseuses, gueules cassées…
Les tubes des années 20 sont mis à l’honneur, les ouvriers des usines Renault aussi.
Les grands poètes russes Anna Akhmatova, Iossip Mandelstan, paradoxalement victimes du régime soviétique qu’ils ont défendus, mais aussi les militants communistes français remettant en cause la dérive de l’union soviétique, font aussi partie du récit.
L’auteur oppose souvent dans le développement du destin des personnages, leur humanité à l’idéologie quelqu’elle soit qui parfois est la négation de cette humanité.
La qualité de la narration, le style précis de l’auteur, les surprises et les rebondissements qui font croire aux destins croisés et aux destins maudits, des différents personnages et surtout le réalisme du récit qui ne tombe jamais dans le pessimisme, tout concourt à montrer la force de la vie au sein des événements les plus chaotiques et les plus noirs.
Quand la petite histoire rencontre la grande histoire, ou quand la petite histoire est la grand histoire.
Maintenant , il ne reste plus qu’à attendre le tome 2 de l’oiseau bleu.
Merci Ian Manook !

Le Mélèze et l’acacia

Les éditions l’Harmattan m’informent de l’envoi à l’imprimeur de mon dernier recueil de nouvelles !

Denis Núñez
Le mélèze et l’acacia
Nouvelles
Illustration de couverture : Dordogne, © Pauline Núñez
ISBN : 978-2-343-23763-3
14,50 €
collectionAmarante
Paulette la dentiste, Maryse Ducloux la comptable, le philosophe urbain Jean Ramadier, Jules Messonnier dont le destin est lié à la neige, Johanna la jeune fille rêveuse, le ténor Vyktor Apostolydes, Antonio le républicain espagnol, tous sont à la recherche d’une autre vie, une vie meilleure, une vie différente où ils seraient enfin reconnus pour eux-mêmes.

Alors, toutes les étoiles s’éteignirent d’un seul coup.

 21 juin 2021Week-End à Zuydcoote de Robert Merle Le Livre de Poche

Alors que j’ai vu le film Week-End à Zuydcoote des dizaines de fois, je n’ai jamais pris le temps de lire le roman dont il est l’adaptation. Un oubli réparé aujourd’hui.
Au cours de la lecture j’ai pu mesurer combien le film devait au livre, mais aussi combien les acteurs collent à leur personnage.
Le groupe qui se constitue à Zuydcoote, sous la houlette de Alexandre, est composé de Maillat, Pierson, Dhéry, des personnages qui ne se seraient jamais rencontrés. Autour d’une roulotte qui sert de camp de base, approvisionnées en victuailles et boissons « cantinées », ils reconstituent un groupe hétéroclite dans lequel au sens propre et au figuré chacun a une place bien précise. De nouvelles habitudes s’installent, donnant le change pour quelques jours et permettant d’oublier la guerre et la situation catastrophique de l’armée française. Ils y confrontent leurs points de vue sur leur vie d’avant, leur vie future et la guerre.
On voit se dessiner alors ce que sera la société française sous l’occupation.
Maillat est décidé à embarquer pour l’Angleterre. Dhéry veut tenter la collusion et les affaires avec l’occupant. Pierson, le prêtre ne veut rien révéler de ce que serait son sacerdoce dans une France occupée. Alexandre rêve de s’échapper vers son midi natal.
Ces rêves dérisoires face aux obus de 77 qui tombent au hasard leur permettent de vivre ce qui sera peut être leurs dernières journées, et c’est derrière les gestes du quotidien, corvées d’eau, popote, vaisselle, ouverture des boites de singe qu’ils cherchent à oublier.
Le seul à échapper à la pression du groupe est Maillat, anglophone, il cherche désespérément à embarquer sollicitant les soldats anglais pour lui permettre de se fondre parmi eux. Dans ses pérégrinations il va se trouver confronté à l’absurdité de la guerre et à la lâcheté des hommes profitant de la confusion pour s’affranchir des règles morales. C’est ainsi qu’il rencontre le chauffeur de taxi parisien Virrel, et Jeanne décidée à rester dans sa maison malgré la disparition de ses grands-parents et les pillards qui s’en prennent à elle. 
Un roman de référence sur la guerre, la période trouble de la défaite française, le drame de la poche de Dunkerque, et les prémices de l’occupation et de l collaboration.
A lire