Amour et trahison, l’histoire éternelle de la planète

INESTIMABLE de Zygmunt Miloszewski, Éditions Fleuve 14/10/2021
Comme la chanson qu’il fait interpréter à Martin Meller l’un de ses personnages, le roman de Zygmunt Miloszewski nous parle de « l’amour, la trahison et (de) tous les gens qui (ont) un jour vécu sur cette planète. »

Avec Inestimable, l’auteur montre l’étendue de ses talents d’écrivain, il nous livre une vision du monde où la fiction n’est jamais très loin de la réalité. Les méchants soucieux de leur pouvoir et de leurs gains, sont assez très proches des naïfs qui s’ingénient, eux, à vouloir faire le bonheur de l’humanité malgré elle.

Côté amour nous avons Zofia Lorentz, l’ex directrice du Musée national de Pologne (un des personnages du précédent roman Inavouable), remerciée sans ménagements par le nouveau pouvoir conservateur au motif d’une photo jugée indécente…Comme un malheur n’arrive jamais seul, son mari Karol Boznanski souffre de troubles de la mémoire qui laissent supposer le début d’un Alzheimer ou d’une démence sénile…

Aussi, lorsqu’elle rencontre Bogdan Smuga, un chercheur qui se présente comme le descendant de Benedykt Czerski un scientifique Polonais exilé sur la presqu’île de Sakhaline au début du XXème siècle par l’occupant russe de l’époque, elle ne peut refuser sa proposition de travail.

Benedykt aurait-il découvert le secret de la longévité hors norme des habitants de cette partie de la Sibérie ? C’est ce que laisse entendre Bogdan à demi-mots…

Côté trahison les prétendants ne manquent pas entre ceux qui veulent accaparer une découverte qui garantirait les profits juteux des groupes pharmaceutiques et les rêveurs souhaitant verser cette découverte au patrimoine de l’humanité…quoiqu’il en coûte…

« — Bronisław, je ne veux pas me disputer avec toi. Pas à ce sujet-là, pas maintenant. Je te dis seulement que Czerski peut apporter une fortune à notre cause. »

Miloszewski montre que les mécanismes de conservation du pouvoir sont les moteurs de toute idéologie au motif, j’ai raison  et pour le démontrer je dois non seulement conserver le pouvoir mais aussi éliminer ceux qui ne pensent pas comme moi.

Dans un tourbillon d’aventures dont il a le secret et qu’il manie avec virtuosité Myloszewski entraine ses personnages et le lecteur avec, de la Sibérie du début du XXème siècle à la Pologne et à l’Europe du XXIème, de Paris aux Pyrénées et en Afrique.

Au delà de l’intrigue qu’il serait malséant de vouloir réduire à une simple intrigue policière, l’auteur interroge, souvent avec une dérision de bon aloi et beaucoup d’humour,  notre rapport à la religion, à l’état du monde et à nos pulsions nationalistes et chauvines.

Le roman, ce qui fait tout son sel,  est par ailleurs truffé de références et de clins d’oeil, Lisa Tolgfors lit sur les ossements des morts d’Olga Tokarczuk, une bibliothèque organise une rencontres avec Olivier Norek, Bogdan Smuga lit Clive Clusser…

Zygmunt Miloszewski, pour notre plus grand bonheur, joue de son rapport à la Pologne de sa vision des relations entre la France et la Pologne.

Il nous rappelle que l’on a enterré « (…) au cœur du cimetière Montparnasse (…) Henryka Pustowójtówna (…)  l’insurgée polonaise »

Et que la gastronomie française révèle bien des surprises : (à propos du cassoulet) « Comme toujours lorsqu’il entamait ce plat, il était rassasié après les trois premières bouchées. Pour qui avait-on inventé ce truc, sérieux ? Pour les forçats qui pavaient des routes sur les versants des Pyrénées en plein hiver ? Qui, bon Dieu, avait besoin d’autant de calories concentrées dans une seule assiette ? »

« Elle mangea – selon les préceptes du dieu de France – un croissant avec un café crème au petit déjeuner, puis elle partit d’un pas nonchalant »

« Elle permettrait encore à un mauvais serveur de lui apporter un excellent déjeuner dans l’un des restos du 5 e  arrondissement »

« Pire, plus il habitait en France et plus les petits déjeuners polonais lui manquaient.  »

La puissance évocatrice de l’écriture, le découpage de l’histoire, la truculence des personnages, les rebondissements jamais téléphonés, les situations dramatiques dans lesquelles se retrouvent les héros donnent aux scènes une dimension cinématographique qui fait dire au lecteur j’aimerai voir un film aussi passionnant qu’un roman comme Inestimable…

On attend la suite avec impatience…

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