Michel Houellebecq a-t-il anéanti ses lecteurs ?

Chronique du 31 décembre 2021, Anéantir de Michel Houellebecq, Flammarion éditeur 7 janvier 2021

730 pages de rêves. Un simili thriller politique genre méditation plus métaphysique que transcendantale. Une fois de plus le « génie littéraire français » se joue de nos questions angoissantes d’homme blanc engoncé, qui dans un costume trois pièces Hugo Boss, qui dans un chino soldé chez Bexley, magasin du boulevard Henri IV, qui dans un modèle 501 de Levis, braguette à boutons, moins pratique pour pisser, qui dans un polo Ralph Lauren manches longues. La liste n’est pas exhaustive, j’oubliais les fumeurs de Marlboro, contrebande espagnole remontée par des Fast Tracks, revendue trois fois son prix d’achat sur les boulevards.
Comment ce diable d’auteur sait-il que j’angoisse en 2027, façon 2022, avec un Zemmour tonitruant qui s’invite dans le débat comme un Judas honteux, le Pen qui dévisse façon cruciforme, Pécresse en belle-fille adorée des mères françaises, Macron égal à lui-même et une gauche en capilotade comme le nez et les joues d’Athanase Georgevitch le héros de Gaston Leroux dans Rouletabille chez le tsar, après l’éclatement de la bombe.
Je suis Paul Raison, 47 ans, haut fonctionnaire au ministère de l’économie et des finances, et mon père, Edouard, ancien agent secret est en train de mourir, alors que des attentats se déploient sur le territoire, ceci n’ayant rien à voir avec cela sauf pour l’homme blanc que je décris dans le premier paragraphe de cette chronique…
Ma femme, Prudence, ressemble à s’y tromper à Carrie-Anne Moss, l’actrice qui joue Trinity dans Matrix. Elle pourrait être une mère idéale pour les enfants que je désire mais je ne me résous pas à lui en faire un, non par conviction rousseauiste (je parle de Sandrine, pas de Jean-Jacques, vous l’aurez compris…) mais par simple angoisse plus qu’existentielle.
J’ai tout pour être heureux, Bruno (oui le vrai, mon patron) va se présenter au poste suprême dans la hiérarchie politique française et devrait m’emmener à l’Elysée dans ses valises…
Autrefois, il m’est arrivé de prier en l’église Notre-Dame-de-la-Nativité de Bercy, quai oblige, et je me repais toujours des paysages du Beaujolais et de leur production vieille de décennies sinon de siècles, malgré la farce annuelle du troisième jeudi de novembre qui sacrifie au désir de nouveauté des populations du monde entier.
Si vous êtes en train de lire « Certains lundis de la toute fin novembre, ou du début décembre, surtout lorsqu’on est célibataire, on a la sensation d’être dans le couloir de la mort. » vous n’êtes ni au bout de vos peines, ni au bout de vos surprises, vous avez la chance, heureux élus de l’aristocratie littéraire et journalistique, de commencer à vivre la vie de Paul Raison qui pour les lecteurs plébeïens verra le jour le 7 janvier…

Ajout du 31 janvier 2022 :
Après cette première lecture, j’ai scanné le texte, en reprenant mes notes de lectures, possibilité incomparable offerte par les fonctions de la liseuse.
J’ai retrouvé les nombreuses références aux symboles des années 1970-1980 et j’en ai fait deux quiz que vous pourrez jouer :
https://www.babelio.com/quiz/58162/Aneantir-la-nostalgie-Houellebecq
https://www.babelio.com/quiz/58181/Aneantir-la-nostalgie-Houellebecq-2

Anéantir contient plusieurs romans et plusieurs clefs de lecture :
– Le récit des attentats terroristes qui reste inachevé
– Le récit de l’élection présidentielle de 2027 à laquelle le Président en exercice ne peut se présenter puisqu’il a été réélu en 2022 (suivez mon regard). On y voit le président pousser la candidature d’un certain Benjamin Sarfati dont le « niveau en économie est celui d’un BAC G »…il est pour cette raison associé à Bruno Juge (avatar de Bruno LeMaire)…La coach Solène Signal, présidente du cabinet de consultant Confluences, se charge de faire monter les deux candidatures en puissance..
– Les rêves de Paul Raison émaillent le récit, et l’on croirait à des exercices imaginées par Sigmund Freud lui-même pour entraîner ses disciples à l’interprétation des rêves…
– Les histoires des différents couples est aussi un fil conducteur qui permet de mettre en perspective l’évolution des relations hommes femmes et de la lancinante question de la place de l’amour et du sexe dans notre société.

De ces différents points de vue, le roman réalise une coupe transversale des raisons qui ont conduit la société française à évoluer des trente glorieuses insouciantes à la société anxiogène que nous connaissons.
On retrouve dans Anéantir, mises en situation, nombre d’analyses proposées par Jérôme Fourquet dans L’archipel français…

C’est un roman à lire que l’on soit houellebecquien ou pas !

Laisser un commentaire