« j’ai connu un monde (…) dans lequel je ne me levais pas (…) en me disant je vais encore obéir. »

12 décembre 2020
Vernon Subutex, tome 2 de Virginie Despentes
A la fin du Tome 1, Vernon Subutex, après avoir perdu sa boutique, ses amis et son réseau Vernon se retrouve seul, condamné à vivre dans la rue.
Le tome 2 donne des clés de lecture sur les raisons qui poussent Vernon à poursuivre son expérience de la rue en la magnifiant, en en faisant un lieu d’observation social et d’agit-prop, comme l’était sa boutique Revolver.
De sa boutique où de la base qu’il a établi dans le parc des Buttes Chaumont où ses amis viennent le voir régulièrement, Vernon se situe en dehors de cette société qui l’a rejeté, comme à l’époque qu’il définit ainsi : « Je n’ai aucun souvenir, entre seize et vingt-trois ans, d’avoir regardé une émission à la télé, on n’avait pas le temps, on était dehors ou on écoutait de la musique, je ne me souviens pas d’être allé voir un film grand public, avoir vue un clip de Madonna ou de Michael Jackson, la culture mainstream ne faisait pas partie de notre champ de vision. » 
Cette vision extérieure est le support de sa liberté, « Mon aristocratie, c’est ma biographie : on m’a dépouillé de tout ce que j’avais, mais j’ai connu un monde qu’on s’était créé sur mesure, dans lequel je ne me levais pas le matin en me disant je vais encore obéir. », liberté qu’il va s’efforcer de partager avec les autres au travers de ses expériences musicales et de sa capacité à capter la force des sons.
L’acuité de ses analyses est totale, mais est-elle partagée ? 
« Les banques vident les caisses de l’Etat sous prétexte qu’elles ont fait des conneries, on collectivise leurs déficits, on privatise leurs bénéfices, et ces connards de citoyens réclament une raclée pour les Roms. »
Vernon se méfie de ce que l’on pourrait appeler la récupération des énergies, ou comme il le démontre, la clientélisation des activités et des individus. Il l’a vécu avec la production musicale et la confession vidéo d’Alex Bleach en atteste aussi : « Plus tard est venu un monsieur rock à la culture (…) On a commencé à remplir des papiers. le CD a remplacé le vinyle. Les 45 tours ont disparu. Et ce rêve qui était sacré a été transformé en usine à pisse. (…) Nous devenions tous des clients. »
On dit de lui, même s’il n’en a pas conscience « T’as été un passeur, mec. Les gens t’aimaient bien. (…) chez toi c’était toujours plein de monde. »
Car au fond, il se reproche d’avoir cédé devant le monstre « Mais au finish, j’ai subi le traitement réglementaire : dans un système totalitaire, consentir à l’humiliation est un marqueur de bonne conduite. »
Dans ce tome 2, Virginie Despentes démontre une fois encore qu’elle est une analyste pertinente de l’évolution de notre société, analyste qui s’empare de tous les sujets qui font notre actualité, religion, laïcité, homophobie, dévalorisation de l’humain, marchandisation des rapports sociaux. Chaque personnage, par son histoire, par son discours éclaire ces sujets sous différents angles.
J’ai retenu cette citation dans la bouche de Selim, le père d’Aïcha, un professeur que ses collègues incitent à prendre du recul, à trouver son « identité postcoloniale », alors que « Il s’en fout, lui, de l’immigration, il leur parle d’une gamine qu’il a élevée ici. Sa fille ne devrait plus se soucier de savoir d’où sont venus ses grands-parents. Mais il lui est pénible d’entendre certains collègues pérorer sur le droit des filles à porter le voile ou à renouer avec leurs racines. »
Un foisonnement de phrases justes qui poussent le lecteur dans ses retranchements, l’obligeant à dépasser la seule histoire de Vernon pour épouser son regard à la fois critique et résigné sur la société. 

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