Yvorra d’Hussein-Dey : La Maltaise et Sable Rouge, l’Algérie en 1942

La maltaise, tome 1
16 avril 2019
La maltaise, tome 1 de Jean-Pierre Yvorra
★★★★★
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Premier polar d’un nouvel auteur dans le genre, Jean-Pierre Yvorra.
Le roman se déroule dans un contexte particulier, l’Algérie durant la période de l’occupation, alors que les maires sont remplacés d’autorité par le régime de Vichy et que la population est fortement incitée à soutenir le nouveau régime en place.
Tous ne l’entendent pas de cette oreille.
Les habitants sont attachés à leur liberté d’action et de pensée. La remise en cause du décret Crémieux accordant la nationalité française à tous les résidents de religion juive interpelle (c’est peu de le dire) cette société mutli culturelle et multireligieuse dans laquelle les citoyens ont pris l’habitude de se cotoyer et de partager leurs joies, leurs peines et leurs soucis du quotidien.
Les personnages évoluent dans ce contexte particulier. S’appuyant sur ses propres souvenirs et les souvenirs de ses ascendant, Jean-Pierre Yvorra dresse le portrait d’une société attachante, à Hussen-Dey et Sidi Ferruch deux petites villes au bord de l’eau près d’Alger. Une communuaté de gens simples, des pêcheurs notamment.
L’un d’entre eux est Ernest Pagnotte, un cinquantenaire, propiétaire d’un pointu, le Poséïdon, une barque dédiée à la pêche de nuit, au lamparo, qu’il exploite avec deux autres marins, Kadour et Youssef.
Il est marié à la belle Maltaise, Jeanne, une jeune femme convoitée par de nombreux hommes, avec laquelle il a eu un fils Antoine, et en attends un autre.
Les autres personnages du village, sont :
– Jeannot le garde-champêtre, veuf suite au décès de sa fiancée, thuriféraire du Maréchal, pilier du café de la Plage où il écluse PILS sur PILS.
– Albert Tomasini le bistrotier, pourvoyeur en anisette «Cristal Liminana» et Muscat du domaine de la Trappe
Plus loin, «L’hôtel de la Plage» sert dorades, pageots et autres poissons frais favoris des touristes algérois.
Charles le jeune curé
Georges Pastor, l’instituteur dont Tomasini dit qu’il est «…un rêveur, un poète, un pas méchant.»
Josepha la doyenne du village
Ce microsome vit à l’heure de l’occupation, sans en être proche et les débats pour enflammés qu’ils soient «se terminent souvent sur le zinc devant une kémia, un verre de bière ou d’anisette.»
Yvorra restitue de façon précise et bon enfant cette société aujourd’hui disparue en multipliant les références aux traditions et à la culture de l’époque.
Mickey Rooney au cinéma le Palace dans les Enfants du juge Hardy, le poste en bois ciré PHILIPS qui diffuse parlez moi d’amour de Lucienne Boyer, la boite de craie Robert à l’école, et la morale : «La discipline est une loi acceptée, elle doit être établie dans la famille, à l’école, dans la vie.», les parties de Tric-Trac et de Ronda au bistrot, le jour qui s’en va doucement, doucement, à pas de velours…
C’est indéniablement une des réussites du roman.
Quand l’inspecteur Léon Battesti, assis dans son bureau d’Alger derrière une UNDERWOOD «un peu noire et poussiéreuse» et son adjoint Pierre Bellegarde entrent en scène, la douceur du microcosme Ferruchien se déchire. La gendarmerie de Staoueli informe la PJ de la découverte d’un cadavre par Jeannot le garde-champêtre.
L’enquête menée par Battesti, une BASTOS aux lèvres, va lever le voile sur l’histoire ancienne des différents personnages et des événements de leur vie passée qu’ils n’avaient pas forcemment envie d’étaler au grand jour.
Battesti fait preuve d’une grande humanité et assisté de Pierre Bellegarde qui pourrait être son fils, va secouer le cocotier de ce village de pêcheur pour mettre en évidence des connections restées occultées jusqu’alors.
Yvorra évoque des contextes qui remontent à la première guerre mondiale et à la campagne d’occupation de l’Algérie par la France, avec le même souci de précision et d’illustration du contexte.
Le couple de détectives et leur relation père fils, fonctionne à merveille.
Un roman agréable à lire, même si parfois, l’évocation des souvenirs prend le dessus sur le déroulement de l’enquête, mais c’est aussi ce qui donne son humanité à l’histoire et rend crédible les faits. Un premier roman réussi.

A l’issue de la Maltaise, plusieurs crimes ont été commis et si les deux détectives ont des pistes, et ont mis en évidence des faits et des liens entre personnages et événements, ils n’ont pas complètement élucidé l’affaire.

J’ai hâte maintenant d’attaquer le Tome 2, Sable Rouge…

Sable rouge Tome 2
24 avril 2019
Sable rouge Tome 2 de Jean-Pierre Yvorra
Novembre 1942. C’est un réel plaisir de retrouver Léon Battesti et Pierre Bellegarde au commissariat de police d’Alger, après le débarquement anglo-américain sur les plages de l’Est Algérien. Battesti a de quoi se réjouir, l’affaire des 4 meurtres de Sidi Ferruch enterrée par la justice pour « DEFAUT D’ELUCIDATION » est ressortie des archives car un cinquième cadavre a été découvert, celui de la Judith Stauss, la soeur de Sarah Zitvogel assassinée le 15 décembre 1940.
Le lecteur notera que l’écriture de Jean-Pierre Yvorra s’est contractée, resserrée pour aborder les faits de façon plus directe et plus incisive.
Le résumé des événements intervenus au cours du Tome 1 de l’histoire (La Maltaise) sont un exemple de précision et de concision.
Battesti et Bellegarde relancent les investigations et redoublent d’attention pour redéployer leur enquête.
Tous les feux sont au vert pour eux. Ils ont fait le coup de poing et de révolver aux côtés des résistants pour débarrasser Alger des soutiens de Vichy, se réjouissent de voir l’administration purgée de ces cancrelats, et voient avec satisfaction l’affaire des crimes de Sidi Ferruch à nouveau dans leur champ d’investigation.
Ils passent en revue les protagonistes : « Jean Geller, le garde-champêtre, mort d’un coma éthylique, Albert Tomasini le cafetier, Kader Ben Ouleman, le marin pêcheur, Georges Pastor l’instituteur, Orlando Pedroni, napolitain exploitant du vivier, Pétra Noguès voisine d’Ernest, Fernand Eugène et Hector les trois ferrailleurs de Boufarik. »
Ernest disparu, la Maltaise retournée à Alger dans sa famille adoptive et à ses habitudes au cercle hippique, Battesti a l’intime conviction que les meurtres prennent leur origine dans la rupture de ce couple insolite et la mort de leur petit dernier Etienne dans les heures qui ont suivi sa naissance.
Avec le même souci du détail, et le même réalisme, Yvorra dépeint Alger en 1942, l’accueil des GI, les craintes de la population puis l’enthousiasme envers les libérateurs malgré les bombardements d’avions allemands basés en Lybie.
« Pirroulies », olives piquantes, pois chiches grillés, moules à l’escabèche, tramousses, anisette, Limiñana, Bastos, pastille Valda, Lithinée du Docteur Gustin, radio Philips en bois ciré, vieux Radiola, Rina Ketty el son « j’attendrai », Joséphine Bker et son « j’ai deux amours », sont fidèles au rendez-vous pour combler le lecteur nostalgique.
Saluant aussi le travail de Bernard Brossard dont les nombreuses illustrations donnent vie aux personnages et à la ville.
L’enquête prend un nouveau tour après la visite des deux flics à l’appartement de Judith Strauss dans la Casbah d’Alger, et les révélations d’Orietta la concierge de l’immeuble et amie de Judith.
L’étau se resserre autour du couple Pagnotte, les raisons de leur mariage, et leur étrange relation avec Georges Pastor l’instituteur. Mais qui est l’assassin. ? Vous le découvrirez en lisant Sable Rouge.
Au cours de l’élucidation de l’enquête, l’auteur cite Georges Sand « « le crime est un acte de démence, ou une stupidité de la conscience. », mais aussi Gabriel Tarde « (…) la folie (…) nous fait étranger à nous-même. »

La Maltaise et Sable Rouge les deux tomes d’une saga algérienne qui réjouira ses lecteurs pour son sentimentalisme mais aussi pour son réalisme

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