Mamy fait de la résistance

Les sales gosses
17 mai 2019
Les sales gosses de Charlye Ménétrier McGrath
★★★★★
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«Je garderai le reste pour moi. Comme tout ce qui est unique et magnifique, on ne peut jamais en retranscrire la magie sans en perdre un peu entre les lignes. Les mots ne peuvent pas être toujours à la hauteur.»
Ainsi s’exprime Jeanne, après sa «sieste coquine» avec Paddy, un Anglais de Manchester qui réside dans la même maison de retraite de Lyon où l’ont «placée» ses enfants.
L’héroïne des Sales Gosses, 82 ans bientôt, a vécu sa vie pour André son mari, psychiatre, qui la trouvait futile et ses cinq enfants devenus grands, qui la considèrent maintenant comme une incapable au sens juridique et psychologique.
C’est un sujet sensible et délicat qu’a choisi de traiter, Charlye Ménétrier McGrath
celui de ce qu’il faut bien convenir d’appeler la vieillesse et la retraite ce mot français horrible dont le sens illustre tout à fait la place des «aînés» en France, bien loin des jubilados espagnols, des pensionnés allemands, ou des émérites polonais.
Jour après jour, heure après heure, nous lisons le journal de Jeanne où elle rapporte ses sentiments face à ce qu’elle vit et évoque des souvenirs du passé en contrepoint.
Le récit se déroule du samedi 4 janvier au dimanche 6 avril.
Dans les premiers jours de son arrivée à la résidence retraite, Jeanne se révolte pour faire payer à ses enfants leur décision. Il faut dire qu’ils n’y sont pas allés de main morte. Elle n’a plus accès à ses comptes bancaires, ses affaires se retrouvent dans des cartons sont entassés dans le garage de sa fille, et tout est à l’avenant. Elle n’a même plus son répertoire tléphonique.
Cette première partie du récit illustre très bien, avec réalisme et humour, les relations parents âgés/enfants adultes, petits enfants.
Jeanne décide de surjouer le rôle dans lequel ses enfants veulent la cantonner.
«Depuis je me délecte et je jure comme un charretier. Ces crétins ne devraient pas tarder à ajouter le syndrome de Gilles de la Tourette à mon dossier.
Finalement mon seul regret est d’être restée polie si longtemps.»
«Quel cauchemar ce Noël en famille. J’ai bien cru que je n’y survivrais pas.»
Jeanne ne supporte pas l’auto-satisfaction de sa belle-fille Marjonaine et pense « Combien d’assiettes ai-je remplies, mis, ces soic-xantes dernières années, sans réclamer de laurier ? le résultat m’a fait rourner la tête (…) j’ai lâché :
cent-quatre-vingt-dix-sept mille cent.»
Ambiance !
Le style est drôle, parfois outrancier mais pas trop. Réaliste avec juste ce qu’il faut d’exagération.
J’ai trouvé la suite du récit moins percutante. Plus convenue. Trop pleine de bons sentiments.
Jeanne s’ouvre sur les autres résidents de son âge et admet que sa vie peut prendre un nouveau départ à condition qu’elle accepte sa condition.
Elle est adoptée par «la Bande», Léon, Lucienne, Jo, Paddy, Loulou vivent à cent à l’heure, capables d’écluser deux litres de rhum arrangé en une soirée, et de festoyer presque toutes les nuits jusqu’à plus d’heure. C’est une découverte pour Jeanne, et pour ses enfants aussi, qui lui reproche pratiquemment d’être une mère indigne.
La relation sentimentale avec Paddy est pour eux la goutte qui fait déborder le vase.
«Manchester ! Non mais, n’importe quoi ! Et on peut savoir ce que tu vas faire en Angleterre ? Non, attends, laisse-moi deviner, une escapade romantique avec Paty ? a demandé Auguste d’un air faussement outré.»
Installée dans sa nouvelle vie, Jeanne analyse par comparaison ce qu’avait été sa vie avec son mari André. « (…) toute ma vie ressemblait à ces gateaux au glaçage miroir. (…)» dit-elle, beaucoup d’effet mais une déception lorsqu’on en mange une bouchée.
Le récit prend un tour totalement nouveau, on découvre que Jeanne était entourée « d’un ramassis de crevures » comme elle s’est maintenant autorisée à s’exprimer.
La bande pratique une dynamique de groupe permanente avec l’institution du «vendredi des regrets» séance au cours de laquelle chacun doit rapporter ce qui a raté dans sa vie passée.
Jeanne et Paddy, avant de décider de vivre ensemble, doivent régler ces événements de leur vie passée qui pèsent encore dans leur coeur.
Le roman se perd un peu dans la description des regrets de chacun des membres, même si la façon dont la bande et Jeanne en particulier décide de donner une seconde chance à Loulou lui permettant de revenir sur son regret (je ne le dévoile pas volontairement) sert de trame principale au récit.
La fin du roman part en vrille avec un flot d’événements plus miraculeux les uns que les autres comme notamment le passage de la bande à Vivement Dimanche de Michel Drucker…

L’épilogue donne une explication au côté fragmenté du roman et à l’impression de juxtaposition de plusieurs histoires dont le lien n’est pas toujours évident.
En effet, le roman, précise l’éditeur, est inspiré de la nouvelle de l’auteur qui a été primée par e-crire au féminin en 2016, nouvelle qui correspond à la première partie du roman traitant de la réaction de Jeanne à la décision de ses enfants.
En conclusion, le roman aurait gagné à être plus court, la lecture n’en est pas désagréable, mais j’ai ressenti une impression de «too much» face à certains événements rapportés ou vécus par Jeanne et aux sentiments qu’elle éprouve en comparant sa nouvelle vie à son ancienne.

Métal Hurlant

METAL HURLANT N°2
15 mai 2019
METAL HURLANT N°2 de Humanoides Associés
★★★★★
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Remontée des profondeurs de ma cave, les 73 premiers numéros de la revue Métal Hurlant, comme neufs, reposant depuis plus de 40 ans dans des boites d’archive qui les tiennent à l’abri de la lumière de la poussière et des sagouins aux mains sales.
Après avoir chaussé des gants de protection, je me saisi du N°2 (je ferai le N° 1 une prochaine fois car il a déjà été chroniqué ici même par El Gato Malo)
Le Numéro 2 était attendu avec fièvre par les lecteurs du N° 1, et trois mois plus tard, la magie opère à nouveau. Nous sommes rentrés dans l’ére de MH. L’édito de Philippe Druillet insiste sur la performance remplie par l’équipe qui a tenu et tiendra ses engagements, un magazine de BD nouveau, novateur, tourné vers lm’avenir et la fictIon.
Le clou de ce N° 2 est Harzak de Moebius une histoire molle dessinée sur des à plats de couleur qui fait toujours aujourd’hui figure de référence pour le Fan de BD quelque soit sa génération.
Voir, en pleine page, ces deux faux ptérodactyles fuyant un ciel d’orage orange et survolant une pampa d’algues vertes aux mouvements sinueux, inquiétants et maladifs est encore aujourd’hui une expérience inoubliable.
L’un des animaux est chargé comme un âne, l’autre est chevauché par Harzak le terrien funèbre à la tête recouverte d’une étrange coiffure, et portant une cape rouge sur ses épaules.
Là, sous nos yeux, le drame se déroule. Les algues happent le chargement, Hazark éperonne sa monture pour la faire voler plus haut et furieux lance une pièce d’or vers les herbes nauséabondes.
L’aventure n’est pas finie pour notre héros. A l’horizon il aperçoit les restes d’un aqueduc, une arche de pierre, perdue au milieu des algues qui continuent d’ondoyer vers ce qu’elles croient être leur prochaine vicitme.
Hazark va se poser sur l’arche, mais elle est occupée par un monstre mi gorille, mi dragon, mi humanoide pas associé. Hazark feinte. Il fait tournoyer son volatile autour du vestige et saute dessus face au monstre pour le défier. Lorsque ce dernier veut se saisir de lui, il saute dans le vide pour se retrouver sur son oiseau. Emporté par son élan le monstre se raccroche in extremis au bord du précipice et finit par y tomber.
Hazark jouit de sa victoire sur son morceau de béton, seul au milieu d’une étendue d’algues ondoyantes alors que le soleil se couche.
Une histoire en couleur, sans paroles, donnant au récit la profondeur d’un conte absurde, grâce à la magie des couleurs, la force du dessin, et l’expression des personnages, même celle des algues ondoyantes. On ne se lasse pas de lire (?) et relire ces planches sorties de l’imagination de Moebius.
16 mai 2019
METAL HURLANT N° 3 de Humanoides Associés
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Des nouveautés à n’en plus finir dans ce N° 3 livré au début de l’été 1975.
Les aventures d’Yrris, de Druillet et Alexis, une histoire fantastique emprutant au Cauchemar d’Innsmouth de Lovecraft, « Par Sarot, étrange endroit ! Et quel odeur ! » dit le héros en arrivant dans la ville où vivent les dragons.
Alexis met au service de l’imagination débridée de Druillet son dessin à la ligne pure et longiligne, dépassant les limites qu’il s’impose trop souvent lui-même. Un Must.
Dans ce N° débute l’histoire de Den, de Richard Corben remarquable pour ces planches hors pages aux couleurs sombres. Dans cette première livraison, on voit Den devenir le héros taciturne et musclé, mangeur de serpent, s’affranchissant du désert et de ses pièges pour suivre la femme indienne qui le conduit vers sa detinée.
Du côté de Betelgueuse, La reine noire donne encore à Druillet l’occasion de livrer sa vision extrême de la sexualité entre maîtresse et esclave.
Jules Léclair continue son voyage à la recherche de l’Empereur Mung et découvre le summum de la gastronomie en commandant un Kraputnik….
Jamis très loin d’Adèle Blanc-Sec, Tardi nous fait jubiler de bonheur avec La crainte du Sloane aux yeux bleus. Une histoire transposant son univers, Paris fin XIXème, début XXème siècle, le métro et les expositions universelles, l’égyptologie dans une héroïque fantasy où des machines étranges parcourent l’espace.
Pour le dessert, Un Harzack en noir et blanc de Moebius. Plus que 3 mois à attendre avant le N° 4.
METAL HURLANT N° 4
17 mai 2019
METAL HURLANT N° 4 de Humanoides Associés
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Livraison du N° 4 de Métal en cotobre 1975, l’aventure continue malgré les brimades des NMPP qui ne distribuent pas dans toutes les villes.
Les brigands résistent et multiplient les incartades aux codes de la BD dit traditionnelle.
Moebius revient avec Arzak, toujours aussi absurde, aussi bien dessinée et aussi bien colorisé.
Des planches qui font rêver le lecteur. Azark toujours seul contre tous. Se réfugiant (déjà) dans la réalité virtuellepour fuir la réalité où il se fait casser la gueule. Contemplant un film montrant son volatile en état de marche, caracolant dans les airs alors qu’il est présentement immobilisé…
L’étau se resserre autour de Den, prisonnier d’un monde qui n’est pas le sien, prisonnier d’un corps d’athlète qui n’est pas le sien, en proie à des désirs qui le transcendent.
Alexis et Druillet mettent un terme aux aventures d’Yrris qui terrasse le dragon, les dragons, et repart, guerrier joyeux entorué de ses repos dans une improbable diligence.
Des nouveaux auteurs dans ce N° :
Alain Voss avec son héros Nep Simo, « Un être humain, un cerveau, une machine froide et efficace conçue dans un laboratoire secret, quelque part sous les Alpes… »
Vaughn Brodé avec Cobalt 60, une histoire de post apocalypse dans laquelle des mutants esclaves des « radios » sont envoyés en éclaireurs à la surface de laterre dévastée par une explosion atomique. L’un d’entre eux, Cobalt 60 le bien nommé, se prend pour un homme…
Mandryka nous régale de la vie secrète et passionnée des métaphores « Ne jamais laisser planer la moindre ambiguité sur la situation »
Vivement le N°5

« Maîtres de nos vies et à la Grâce de Dieu »

Seul celui qui se perd se retrouve un jour
11 mai 2019
Seul celui qui se perd se retrouve un jour deAntoine Paje
★★★★★
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« Qui aurait besoin d’un excellent avocat si la justice était fiable ? » assumait Hubert Estienne le prof d’Adrien Finden à la faculté d’Assas. Des années plus tard, cet étudiant remarqué est devenu un pénaliste non moins remarqué, cador du barreau et requin aux dents longues. Il a tout pour lui.
Ça roule jusqu’au jour où il est amené à défendre Bruno X, un routier accusé de trafic international de drogue et dénoncé par une mule qui lui met tout sur le dos. (Ha Ha Ha)
Comment et pourquoi, ce sera au narrateur de vous le dévoiler…si vous lisez le livre, bien sûr.
Revenons aux propos d’Antoine Paje (avec un J), il traite de la réussite et des échecs et de leur retentissement sur notre vie.
La culture de la réussite constitue en effet un frein au développement des initiatives, à tel point que dans la Silicon Valley une Convention des plantages (FailCon) tente de réhabiliter l’échec en cela qu’il permet d’évoluer alors que la « réussitophilie » (je viens d’inventer ce terme) conduit à la routine.
C’est ce qui arrive à Adrien, il évite tout ce et tous ceux qui pourraient nuire à sa carrière. de fait il ne vit pas avec les autres, il vit pour lui.
Il « snobe » ses parents issus d’un milieu modeste, et a perdu de vue sa tante Catherine qui n’arrête pas de produire des aphorismes frappés au coin du bon sens :
« Il existe trop d’autruches dans ce monde, mais plus assez de sable. » disait sa tante Catherine
« le visage mou du faux cul avec son sourire de raie des fesses. »
« Faute de grives on mange des merles. »
Ce faisant il oublie l’enseignement humaniste de son prof Hubert d’Estienne et ses mises en garde :
« La déraison de l’espoir, cet antalgique très addictif. »
« Les chagrins pour l’autre sont une des plus éclatantes manifestations de notre humanité, de notre belle fragilité. de notre âme, de notre esprit, qui saignent puis tentent de vivre à nouveau, plus ou moins vite, plus ou moins bien. »
Quand la machine se dérègle, je ne vous dévoile ni comment, ni pourquoi, il constate avec le narrateur que se cacher n’arrange rien, « Non, ça ne s’arrange jamais parce qu’un grain de sable c’est très résistant. »
Adrien en vient à douter et quand il est suspendu par le barreau, il s’interroge sur le sens de sa vie « Quel était le véritable but de ce que j’ai produit jusque-là ? Tout cela pourquoi ? »
Comme dit le narrateur, « Finden s’obligea à la lenteur ».
Le livre de Paje est à mi-chemin entre le roman et le livre de conseils qui pourrait s’intituler « comment donner un sens à ma vie » ?
La partie narrative, le début du roman est joyeuse, lumineuse, bourrée de formules drôles, puis lorsque Adrien prend la parole pour s’interroger, le style devient plus lourd plus imprégné de « Je » et donc moins convaincant.
Malgré cette remarque, j’ai bien aimé ce roman pour son optimiste et sa volonté de convaincre que si l’on veut on peut.
Une illustration de la devise de la famille Estienne : « Maîtres de nos vies et à la Grâce de Dieu »

Le titre illustre tout à fait le propos du livre : Seul celui qui se perd se retrouve un jour

L’Amour aveugle

150
La Ville de plomb
10 mai 2019
La Ville de plomb de Jean Amila
Ce roman écrit en 1949 sous le nom de Jean Meckert dans la France de l’après-guerre, donne des clés pour comprendre l’univers à la fois réaliste et onirique de celui qui deviendra Jean Amila et produira des polars sublimes, aujourd’hui oubliés.
« Mon Dieu, épargne moi la honte de devenir un homme de lettres ; hideux individu qui raconte des histoires (…) (d’être) quelqu’un de bien solide, et qui ne soit pas de la cohorte de ceux qui préfèrent une belle histoire, une belle idée à la réalité… »
Dit Marcel Duhaut (notez le nom !) l’un des personnages, romancier en devenir, croupissant dans un bureau d’études où il tire des plans (pas sur la comète !).
Son ami Etienne Ménard fabrique des dynamos dans un atelier sombre.
Ils ont tous les deux dix-neuf ans et s’accommodent tant bien que mal d’une société fracturée par la guerre qui ne leur réserve guère un brillant avenir, et où les lendemains qui chantent s’avèrent n’être que des mélodies pleines de couacs.
Etienne suit des cours de trigonométrie et de dessin industriel pour progresser dans la hiérarchie de sa boite.
Marcel croit dur comme fer que le roman qu’il est en train d’écrire « La ville de Plomb » lui assurera le succès qui lui permettra de sortir de sa condition.
Hélas, c’est compter sans les adultes qui les ramènent à leur condition de mineurs toujours sous la tutelle des parents. Censés être des exemples, les adultes jouent le rôle de repoussoir.
Marcel et Etienne jouent au basket dans l’équipe des gaziers de Belleville et sont surnommés les siamois par leur coéquipiers tant ils paraissent proches.
C’est sans compter non plus sur leurs hormones qui les démangent. Etienne reluque du côté de Marguerite Pillot, la magasinière de quarante ans qui lui lance des œillades, et Marcel lui n’a d’yeux que pour Gilberte Laurent, 22 ans, la secrétaire de Brocquet le patron combinard de la boite où il travaille.
Le récit se situe à trois niveaux, la réalité rapportée par le narrateur, le journal de Marcel où il reporte cette même réalité, et le roman la ville de plomb dans lequel Marcel utilise des éléments fantasmés de cette même réalité.
Il y a en fait trois récits dans le roman, qui s’imbriquent parfaitement.
La ville de Plomb se déroule dans Paris après qu’une grande partie du centre de la ville ait été irradiée par une explosion de bombe atomique. La zone est interdite, abandonnée aux rats, mais la tentation est grande pour quelques marginaux de vouloir y pénétrer. La légende affirme qu’on peut y vivre en absorbant des pastilles anti-radia et en survivant grâce aux ressources abandonnées dans les magasins et les maisons vidées de leurs occupants. Marcel et Gilberte sont les personnages principaux, Etienne y devient Stefan.
« Les nuits étaient horribles dans la ville morte. J’avais voulu passer la première dans une boutique du Chemin-Vert, un petit tailleur de quartier chez qui j’avais trouvé de quoi m’habiller chaudement. »
Dans cette construction, Meckert montre sa maîtrise de l’écriture. Chacun des niveaux du récit a son propre vocabulaire, sa propre logique dans laquelle les personnages montrent des facettes différentes de leur personnalité.
L’amitié entre les deux héros est magnifiée dans la ville de plomb, mise en doute par Marcel dans son journal, exposée de façon crue au lecteur qui dispose d’éléments ignorés par chacun des personnages.
L’autre force du récit est de rapporter les conflits jeunes/adultes et hommes /femmes dans une société encore sous l’influence de la religion et de sa morale.
Gilberte est à la recherche du véritable amour, elle va de Marcel à Etienne, qu’elle considère comme des « gamins » (ils n’ont pas encore atteint l’âge de la majorité légale) et Robert, un collègue, de treize ans son aîné, toujours sous l’influence de ses parents soucieux de voir leur fils frayer avec une jeune fille qui n’est pas de leur milieu.
La relation homme femme est biaisée par le mensonge, la recherche de sexe à tout prix et le risque de grossesse.
Morceaux choisis :
« Azerty, dieu des dactylos, connais-tu une combine pour me faire avorter ? » pense Gilberte devant sa machine à écrire.
« Mais qui sommes-nous donc enfin pour tant souffrir dans nos carcasses ? Qui sommes-nous pour haleter dans le silence, comme au fond d’un grand puits ? », écrit Marcel dans son journal.
« Et puis moi j’ai besoin d’indépendance, je suis un garçon, et je n’ai pas encore l’âge de faire des promesses. » dit Etienne à la fille qu’il a engrossée.
« Allons avait dit la mère, il faut comprendre. C’est encore un gosse. A cet âge-là, ça ne s’attache pas. En attendant je peux vous dire qu’Etienne n’est pas encore en âge de fréquenter. » disent les parents à la malheureuse venue chercher du réconfort…
« Vous voyez, Madame, la génération de maintenant !… Ah ! C’est beau ! Ah ! Nous pouvons être fiers de nos enfants !… » dit le père Ménard à la mère de Marcel
« Marcel Duhaut était triste. Il lui semblait qu’autour de lui les portes se fermaient et qu’il se retrouvait seul sur le palier, à comparer des paillassons. »
« Ceux qu’on appelle des gens d’action ne sont-ils au fond, que de simples infirmes pour qui la notion du réel est brumeuse ? »
« …il agissait direct, simple race secondaire ; il était là pour prendre, pour trouver du plaisir, bien ahuri sans doute de s’entendre amoindrir au bas du monde animal. »

Terminus, Decazeville…

Surface
08 mai 2019
Surface de Olivier Norek
★★★★★
★★★★★
Bien avant de commencer la lecture de Surface, j’avais eu des retours assez mitigés de la part de mon entourage, avis mitigés dont j’ai retrouvés quelques-uns dans les chroniques du site Babelio.
Avis empreints de « déclinisme », argumentant sur le supposé pétage de plomb de l’auteur grisé par le succès qui, pour répondre aux oukases de son éditeur ou de son inspecteur du fisc se met à écrire pour des raisons alimentaires, commerciales ou pire les deux
Heureusement, je suis resté sur ma décision de lire ce roman en oubliant ce que l’on m’avait dit ou ce que j’avais lu
Je ne l’ai pas regretté.
Surface est un récit qui s’inscrit dans la geste « norékienne », explorant une facette du métier de policier qui ne l’avait pas encore été.
Quittant les banlieues et la jungle de Calais, Norek nous plonge dans la France rurale, celle que l’on traite de périphérique, oubliée de l’Etat (qui en l’occurrence ne mérite par un E), se débattant pour maintenir une activité économique et les services publics que tout citoyen est en droit d’exiger.
Le récit commence en région parisienne lorsque Noémie Chastain, une inspectrice du 36 reçoit une décharge de plomb en pleine tête, à six heures du matin, alors qu’avec son équipe elle s’apprête à procéder à l’interpellation d’un dealer, Sohan, « Une ordure qui coupait sa coke avec de l’héroïne, histoire de rendre addict au premier sniff. »
La description de la scène est d’un réalisme auquel Norek nous a habitués. Rien à dire.
Pour le Capitaine Chastain, la descente aux enfers commence. Grièvement blessée en opération, elle doit démontrer, après sa convalescence, qu’elle est en capacité de reprendre son activité, sans mettre en danger la vie de ses équipiers. Et là, ça coince.
Sa hiérarchie lui met un marché en mains. Trente jours à la campagne. Au commissariat de Decazeville (Aveyron) ou l’on s’interroge sur la nécessité de maintenir une équipe conséquente, dans cette zone Gendarmerie.
On fait ainsi d’une pierre deux coups, on permet à Chastain de se requinquer et on lui demande de pondre un rapport permettant de « liquider » le commissariat de Decazeville.
Vous l’aurez compris rien ne se déroulera comme prévu.
Chastain arrive auréolée de gloire. Elle ment avec aplomb à ses nouveaux collègues qui se réjouissent « Un nouvel officier, ici, ça prouve que le ministère nous fait encore confiance. », persuadée qu’elle est de leur inutilité, et certaine de rentrer à Paris dans les trente jours qui lui ont été impartis.
Mais pour elle, les choses ne se déroulent pas non plus comme prévu.
Chastain se bat avec ses démons, le coup de feu qu’elle a reçu, l’a complètement défiguré, son compagnon et collègue Adriel, l’a plaqué, et elle doit se soumettre à un suivi psychologique quotidien avec le Docteur Melchior via Skype.
Elle découvre, via la plume ciselée et précise de Norek, ce qu’est la vie dans une commune rurale, elle se confronte avec la proximité des personnes et contrairement à Paris avec le non anonymat du policier dont on attend beaucoup alors qu’il a peu à donner.
Norek décline une vision assez juste et réaliste de sujets qui sont au coeur de l’actualité, comme le maintien des services de police et de gendarmerie dans les zones à faible densité démographique dont on pense à tort qu’elle ne génère qu’une délinquance marginale, peut-être risible pour le policier des villes mais ressenti comme une agression injustifiable pour les habitants de ces zones..
Chastain sourit en voyant le bilan des activités « Diverses dégradations de biens privés, une moissonneuse-batteuse volée et évidemment retrouvée dans l’heure suivante (…) une belle affaire de Bousquet qui avait mis la main sur un champ entier d’herbe de cannabis (…) deux ou trois poivrots à dégriser (…) ». Rien à voir avec son activité du 36 et « L’impression d’être passée au ralenti. »
Norek utilise ce ressort rural contre urbain pour donner une coloration particulière à son récit.
Les choses s’emballent quand la découverte d’un cadavre d’enfant fait ressurgir l’histoire ancienne du village. La construction du barrage d’Avalone en 1994 s’est traduit par l’engloutissement du village et sa reconstruction à l’identique par la société
Le Maire Pierre Valant a été aux avant-postes de ce projet, comme il l’est aujourd’hui pour la création d’un pôle d’activités par une entreprise chinoise.
C’est dans ce contexte de lutte pour la survie du village dans lequel le Maire utilise tous les moyens que lui donne sa fonction que Noémie Chastain va se débattre, n’hésitant pas à remonter vingt-cinq années en arrière pour élucider la disparition de trois enfants du village autour du chantier du barrage malgré la conspiration du silence.
Un récit maîtrisé de bout en bout faisant jouer toutes les facettes des personnages impliqués dans ce drame et restituant le contexte dans lequel se déroule une enquête remontant vingt-cinq ans en arrière.

Le Feu de l’Enfer

L'enfer
07 mai 2019
L’enfer de Henri Barbusse
★★★★★
★★★★★
Seule dans sa chambre à la pension Lemercier, un trentenaire « monté » à Paris pour travailler dans une banque, mesure la vacuité de sa vie en observant le plein de la vie des autres qu’il pense aussi vide que la sienne.
Un roman sans concession, écrit en 1908, dont l’écriture et la force des mots est une véritable leçon de littérature.
« Je me lève, haussé, poussé par la hâte de voir la sincérité des hommes et des femmes se dévoiler à mes yeux, belle malgré sa laideur, comme un chef-d’oeuvre ; et, de nouveau, rentré chez moi, les bras ouverts, posé sur le mur dans le geste d’embrasser, je regarde la chambre. »
Derrière cette honte bue, le désir de jouir de la vie, au sens propre, de vivre l’amour dans sa chair, de se laisser emporter par le souffle des sens.
« Je voudrais de la gloire ! de la gloire mêlée à moi comme une étonnante et merveilleuse blessure que je sentirais et dont tous parleraient ; je voudrais une foule où je serais le premier, acclamé par mon nom comme par un cri nouveau sous la face du ciel. »
Quand il observe le comportement des pensionnaires de la maison Lemercier, les écoute échanger des banalités lors des repas, la vie, la mort, les faits divers, le travail, les saisons, ce dont lui est incapable, accaparé par son questionnement, il pense :
« Et j’ai compris, à voir ce regard jaillir d’eux sous le choc de l’idée de la mort, que ces êtres s’aimaient et s’appartenaient au fonds des nuits de la vie. »
Lorsqu’il découvre une fissure dans une cloison lui permettant d’observer la chambre mitoyenne dans laquelle réside une femme, il fait de ce spectacle l’activité la plus importante de sa journée.
La servante vient faire la chambre et embrasse une lettre de son amoureux : « (…) en me montrant son baiser nu, n’est-ce pas l’espèce de beauté qui règne, et dont le reflet vous couvre de gloire ? » ; puis vient la locataire « (…) je ne pense à me demander compte du crime que je commets à posséder cette femme des yeux. (…) le bruit de ses jupes est un bruit d’ailes dans mes entrailles. (…) je ne vois pas plus sa figure que sa pensée. »
Pour se rassurer il imagine que chacun porte en soi cette envie frénétique de gloire, d’amour, de sexe, qui leur est dénié mais que lui entend :
« Autour de l’image apparue, autour de ce paroxysme effrayant de nos timides instincts, le silence s’est propagé circulairement, comme un bruit formidable dans les âmes. »

A découvrir

La bête immonde se déguise

Le diable n'est pas mort à Dachau
07 mai 2019
Le diable n’est pas mort à Dachau de Maurice Gouiran
★★★★★
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Découverte de Maurice Gouiran avec ce roman palpitant pour son intrigue, mais aussi pour la masse d’informations que celle-ci apporte.
En 1967, pour assister à l’enterrement de sa mère Suzanne, Henri Majencoules revient à Agnost-d’en-Haut, le village de l’arrière-pays Nîmois qu’il a quitté pour suivre sa scolarité au Lycée Saint Charles à Marseille.
Après de brillantes études, Henri s’est établi en Californie, à Menlo Park, où il travaille d’abord pour le Stanford Research Institute financé par l’ARPA (Advanced Resarch Project Agency) qui créera ARPANET le réseau utilisé par l’US ARMY puis donnera naissance à l’INTERNET.
Henri vit la contre-culture hippie, le mouvement psychédélique,les acid-test au LSD, la consommation efferénée de Marijuana, à des années lumières d’Agnost-d’en-haut.
Le retour au pays n’est pas folichon, il ne s’est jamais entendu avec son père, un taiseux qui n’a jamais supporté qu’Henri ne reprenne pas la ferme. Alida Avigliana, la fille de Piémontais immigrés, son amour d’enfance est mariée et devenue la postière du village d’Agnost-d’en-Bas. Son « copain » d’école Antoine Camaro est journaliste à France-Soir et se trouve au village pour enquêter sur un crime atroce, le meurtre d’un couple d’Américains, les Stockton et leur fille âgée de 11 ans.
En parallèle aux faits se déroulant en 1967, Gouiran relate l’atroce détermination de médecins Nazis à Dachau, en 1943, multipliant les expériences sur des cobayes humains afin de tester la résistance humaine au froid, dans des conditions d’atmosphère faible en oxygène, aux virus, aux bactéries et à des maux qu’ils imaginent toujours plus sophistiqués.
Ces expériences connaitront des applications militaires comme la fameuse combinaison anti-g pour les pilotes.
Très vite le lecteur acquiert la certitude qu’entre les événements de Dachau en 1943, le crime de la famille Stockton en 1967, il y a un lien que l’auteur nous dévoilera via Henri et son ami Antoine qui enquêtent de leur côté, certains que le commissaire Castagnet de Marseille fait fausse route en recherchant le ou les coupables parmi les habitants du village et de préférence parmi des Piémontais immigrés après-guerre.
Mais le propos de Gouiran dépasse la relation d’une simple enquête de police. Son roman, fort bien documenté comme en témoigne la bibliographie en fin d’ouvrage, veut dénoncer la foire d’empoigne qui eut lieu à la fin de la seconde guerre mondiale entre USA et URSS pour recycler les chercheurs nazis, y compris les plus atroces qui se livrèrent à des expériences sur des êtres humains.
Von Braun, le créateur des V1 et V2, le plus connu est devenu l’un des piliers de la NSA et du programme spatial américain. Mais le plus grave est de constater que nombre d’entre eux ont échappés aux procès de Nuremberg, alors que la plupart d’entre eux étaient reconnus coupables de crimes contre l’humanité.
La thèse que développe Gouiran est celle développée aussi par des hsitoriens contemporains comme Ian Kershaw, « loin de porter atteinte au capitalisme, [Hitler] en fit un auxiliaire de l’État », préfigurant l’évolution de nos sociétés vers plus de domination sur les citoyens, plus de brutalité dans les rapports sociaux, la disparition des corps intermédiaires et la sujétion du politique à l’économique.
Certes moins brutales que les expériences menées dans les camps par les Nazis, les expérimentations des radiations atomiques lors des essais nucléaires sur des soldats, tant aux USA qu’en France, longtemps cachées à l’opinion et jamais révélées aux intéressés au moment de leur réalisation, ne sont-elles pas de même nature, et les responsables ou coupables n’ont-ils pas échappés à la justice ?
Gouiran relate un certain nombre d’expérimentations menées par l’US Army ou la CIA.
Propos dérangeant, mais étayé par la découverte de nombreuses autres « expérimentations » menées dans les années 1950 et 1960.
Si l’on fait le lien avec des « affaires » comme celles du sang contaminé, du Médiator, de l’amiante, on mesure à quel point les intérêts économiques et financiers passent avant l’intérêt humain et au mépris de sa mort.
Le roman se termine en 1995, Bill Clinton reconnait la responsabilité du gouvernement fédéral dans un certain nombre d’affaires « contraires à l’éthique ».
En Californie, Henri envisage de faire découvrir Agnost-d’en-Haut à ses enfants, mais le pourra-t-il ?
Très bon roman qui restitue avec précision ce que pouvait être l’atmosphère d’un village rural de montagne du Sud de la France en 1967, référence à la chanson de Ferrat, et à l’affaire Dominici. Par contraste l’ambiance de la Californie en 1967 est également très justement retracée. La partie sur les crimes nazis et la complaisance des USA et de l’URSS pour récupérer de la matière grise pour leur propre compte est documentée est donne envie de s’intéresser à ce sujet.
A lire…

Nature

Une bourree pastorale
04 mai 2019
Une bourree pastorale de Philip José Farmer
« Les gens rendent du bout des lèvres au Père et au Fils à l’occasion du sabbat, mais c’est à la mère que vont leurs plus ferventes dévotions. »
En se jouant des codes de la SF, catégorie dans laquelle PJ Farmer est classé, l’auteur se joue aussi des codes de la société.
Bourré Pastorale est-elle pour autant cette « Java » qui a tourné à l’orgie comme le laisse insidieusement entendre la 4ème de couverture de l’édition de poche de 1979 chez JC Lattès ?
Il est vrai, rompant avec la tradition du héros de SF asexué, PJ Farmer en rajoute, époque oblige, pour ce livre écrit et publié aux USA sous le titre de Flesh en 1968. Année qui fait encore rêver ceux qui l’ont vécue au coeur de leur adolescence fuyant.
Quel est le propos ?
Le récit commence en « 2860 dans l’ancien calendrier » devant la Maison Blanche où la foule en délire s’apprête à célébrer le culte de « (…) la très sainte liturgie en l’honneur de la Grande Mère Blanche. »
Cérémonie qui se traduit par d’indicibles exactions : « (…) des furies aux dents aiguës (…) arrachaient (…) des virilités masculines (…) avant d’aller les déposer sur l’autel de la Grande Mère Blanche, au temple de la Terre Humide. »
Les intercesseurs tentent en vain de calmer les ardeurs de la foule, mais les victimes se verraient récompenser par une « (…) sépulture dans le mausolée (…) et un cerf sacrifié en leur honneur. »
Ce soir le « Héros Solaire » va déposer dans l’une des amazones de la Maison Blanche « le germe de la divinité ».
Mais, ce soir, la cérémonie prend un tour nouveau « Jamais encore le Héros Solaire n’était venu (…) du haut des cieux (…) » comme en témoigne «(…) la forme élancée et scintillante d’un vaisseau dont on avait perdu le souvenir depuis sept cent soixante années. »
« Héros Solaire ! Roi cornu ! Puissant Cerf ! Grand Fils et Amant ! » Crie la foule des femmes massées derrière le cortège qui s’ébranle dans l’ordre protocolaire des confréries : Elans et Orignaux suivis des Eléphants, Mulets, Lièvres » etc…
Arrivée au sommet des dômes, devant la statue de marbre de la Grande Mère Blanche, le Héros Solaire fécondera Virginie La Très Haute Prêtresse de Washington…donnant le signal de départ de la « bourrée pastorale »…
Depuis le vaisseau spatial Peter Stagg, son capitaine, et le docteur Calthorp observent la terre qu’ils ont quittée il y a 800 ans et ne la reconnaissent pas.
Thème classique de la SF, revisité par PJ Farmer : une civilisation menacée, à l’apogée de son développement, envoie un vaisseau dans l’univers galactique comme une bouteille à la mer, puis mute, sombre dans l’obscurantisme jusqu’au moment où ceux qui sont partis reviennent pour la régénérer au sens propre et au figuré. Ces nouveaux Dieux parviendront-ils à s’imposer aux yeux de ceux qui les ont oubliés, et leur confiance en la science et la technologie parviendra-t-elle à leur donner un ascendant sur leurs à la fois ancêtres et descendants ?
Très vite, il apparait que cette « civilisation fruste » va permettre de mettre un terme à « Huit cent ans sans voir une femme. » pour ces deux astronautes qui ont « Huit cent trente-deux ans en temps de la terre » mais « trente-deux en temps physiologique. »
Le propos de PJ Farmer est donc d’opposer deux conceptions antagonistes du développement humain, celui des tenants du progrès à tout prix, et celui des tenants d’un retour à la nature.
Avec le débat autour du réchauffement climatique, le roman, bien qu’écrit en 1968 reprend une certaine actualité et des allures de parabole. de plus, la dimension sexuelle que donne l’auteur à la rencontre entre les revenants et leurs mandants pose la question de la place respective des hommes et des femmes dans la société et dans la civilisation.
Le culte de la Grand-mère Blanche a contribué à l’émergence d’une société matriarcale où la fécondation est contrôlée par les femmes, mais d’autres formes sociales existent sur la planète.
L’arrivée du vaisseau va être le catalyseur d’une lutte entre les différents groupes sociaux, chacun luttant pour le pouvoir afin d’imposer son modèle de vie.
Un roman à redécouvrir.

Frères et ennemis

L'attentat
03 mai 2019
L’attentat de Yasmina Khadra
★★★★★
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Tel Aviv. Amine est un palestinien intégré. Chirurgien de renom, il jouit d’une réputation non usurpée, de l’estime de ses collègues et vit dans un quartier résidentiel de la ville.
Il est « l’arabe » dont on peut dire, oui, mais lui c’est pas pareil.
Amine a perdu son identité, ou du moins la cache-t-il soigneusement.
Lorsqu’un attentat suicide est commis dans un bar, et que l’on amène les victimes à l’hôpital, il est en première ligne. Sa femme fait partie des victimes, mais très vite on lui apprend qu’elle est soupçonnée d’être la terroriste-kamikaze qui a causé la mort de 17 personnes dont des enfants.
Tout s’effondre. Amine devient l’arabe qu’il n’était plus.
Ses amis, ceux qui se prétendaient ses amis, la police, les voisins, le regardent maintenant avec les yeux du soupçon.
Comment pouvait-il ne pas savoir. Il se retrouve seul face à une culpabilité, celle de sa femme, qu’il doit endosser malgré lui.
Khadra convoque dans cette analyse du nouveau rapport qui s’instaure entre Amine et les « vrais » Israeliens, La Fontaine « Si ce n’est toi c’est donc ton frère, ou l’un des tiens », le Zola de « J’accuse » (il est coupable parce que Juif). Et plus près de nous Eric Dupont Moretti défenseur du frère de Mohamed Merah qui estime que le procès n’a pas été jugé en droit.
Amine décide de mener sa propre enquête contre l’avis de tous. Il se rend à Bethléem où réside l’Imam qui selon les éléments qu’il a recueillis aurait donné la bénédiction à sa femme avant l’attentat.
Pour Amine, c’est une lente descente aux enfers, il mesure le fossé qui existait entre lui et sa femme Sihem.
Il n’a pas su comprendre que :
« Tout Juif de Palestine est un peu arabe et aucun Arabe d’Israel ne peut prétendre ne pas être un peu juif »
Un roman courageux, toujours d’actualité.

Boyd Forever

Tous ces chemins que nous n'avons pas pris
03 mai 2019
Tous ces chemins que nous n’avons pas pris deWilliam Boyd
★★★★★
★★★★★
Les héros de ces nouvelles pensent : « Voilà, c’était ça la vie, il fallait la vivre à plein quoiqu’il arrive. Au petit bonheur. Un coup de dés »
Dans l’homme qui aimait embrasser les femmes, Ludo Abernathy un marchand de tableau, se fait prendre à son propre piège de la plus cruelle des façons, par une cliente Riley Spacks, qu’il espère gruger sans imaginer qu’elle n’est pas dupe.
Dans Les rêves de Bethany Melmoth, l’héroïne veut ou se prétend être, actrice, chanteuse, romancière et va de déconvenues en déconvenues.
Yves Hill, lui, est romancier mais sa notoriété après un premier roman est compromise par des critiques assez dures, « Un bourbeux océan d’ennui infini et sans horizon » écrit Gerald Laing-Turner.
Hill en est réduit à écrire pour un guide touristique, The English Motorist. Il est en Dordogne quand le hasard met sur sa route un autre critique honni, Raleigh Maltravers en compagnie de Parker Fitzgerald, sa maîtresse. Il imagine une vengeance la plus drôle et la plus humiliante qui soit.

Yves Hilll croisera le chemin de Bethany dans le rôle de l’écrivain à succès qui conseille la jeune romancière débutante.
C’est ce genre de chassés croisés dont Boyd est familier qui rend la lecture attrayante.
Ces textes sont intéressants pour l’aficionado de Boyd, ils peuvent être assimilés à des gammes d’écriture dans lesquelles il multiplie les références musicales (Dylan – Like a rolling stone, Pink Floyd – another brick on the wall, Steve Reich Phil Glass,) et les clins d’oeil dans les noms des héros : Guy Start, Fraser Niven et Callum Strang par exemple.

Le clou du recueil est la dernière nouvelle, Jeu d’esquive en Ecosse, presqu’un court roman, dans laquelle le héros Alec Dunbar, 35 ans, se retrouve chargé d’une mission étrange alors qu’il se présente au casting de la nuit transfigurée, où on le prend pour Alexandra Dunbar, pseudo de Agatha Duguid, et où Ron Suitcase le réalisateur est en réalité Ronaldo Sudkäsz.
Boyd fait dire à Alec « J’éprouvais cette sensation de léger décalage par rapport à la vie quotidienne, et je me demandais si c’était dû à mon métier. »
Par contre Alec s’inspire pour sa mission, du rôle qu’il a joué dans « le cri du poilu » film dans lequel les officiers s’imposent la discipline du rasage quotidien parce que disent-ils n’imaginaient pas monter à l’assaut avec une barbe de trois jours…
Il pense comme le héros, « l’Espoir, c’est bon pour les mauviettes »
Allers retours entre fiction et réalité, analyse fantasmée de la réalité, Boyd livre via Alec Dunbar quelques recettes de la façon dont il conçoit ses personnages, leur vie, et la trame de ses romans.
Un livre gourmandise Pour ceux qui aiment Boyd.