Le barbouillage orchestral d’une symphonie de Mahler

27 mars 2021
L’oreille interne de Robert Silverberg FOLIO SF

Une expérience intéressante, relire ce roman lu vers 1975 alors que le bandeau science fiction était apposé sur tous les romans de Robert Silverberg.
Soit !
Près de cinquante ans après j’ai découvert un roman à la limite de l’autobiographie. Comme son héros David Selig, l’auteur est né en 1935 et a vécu la période faste du rêve américain et ses côtés les plus sombres.
Phobie de la guerre nucléaire, guerre froide, combats pour les droits civiques de la communauté afro-américaine, assassinat de Kennedy, libération sexuelle, expérience des drogues vue par Huxley, guerre du Viet-Nam et contestation du système, scandale du Watergate.
Selig connaît de près ou de loin, tous ces événements qui construisent sa détestation de la société et son retrait progressif des relations sociales.
La construction du roman autour du « don » télépathe de Selig m’est apparu comme une façon de stigmatiser la difficulté croissante de la société à maintenir des liens de communication entre les individus et le rejet de ceux qui refusent de s’intégrer au système.
Son « ami » Nyquist, qui lui aussi possède ce don, en profite (c’est le cas de le dire) pour devenir un trader reconnu sur la place de New-York et s’enrichir.
Selig, lui, ne veut utiliser ce don que pour mieux connaître les autres et savoir ce qu’ils pensent de lui…Cette limitation de son usage au monde des relations inter-individuelles explique son échec dans la vie, mais pour autant, peut on lui en vouloir ?
La dimension fictionnelle du récit de silverberg résulte dans cette dimension dont il a anticipé la survenance, la difficulté croissante à communiquer, le communautarisme et le rejet de celui qui est différent.
Un autre aspect intéressant du roman est la description scrupuleuse de l’activité grace à laquelle Selig survit, la vente de dissertations aux étudiants sportifs à la recherche de bonnes notes pour pouvoir rester dans l’équipe sportive de l’université.
On découvre un devoir époustouflant sur la comparaison des romans de Franz Kafka « Le Château » et le « Procès »…
Par ce roman, loin des Monades Urbaines ou Les temps parallèles, Silverberg montre qu’il sait écrire au-delà de la seule la SF.
À lire ou à relire !
« Je perçois quand même ça et là quelques bribes d’identité discrète : une impulsion de désir impérieux , un crissement de haine, une vibration de regret, un brusque ronchonnement intérieur qui s’élève de la totalité confuse exactement comme des petits bouts de mélodies disparates surgissent du barbouillage orchestral d’une symphonie de Mahler. »

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