Fragment de sagesse traditionnelle bantoue

28 janvier 2021
Je suis parce que nous sommes : Chroniques anachroniques de Nancy Huston
Saluons le travail des éditions du Chemin de Fer qui nous offrent en ce début d’année, « Les Chroniques Anachroniques » de Nancy Huston.
Ces textes écrits en Suisse, alors que l’auteur y est confinée en compagnie de son compagnon peintre à Berne, ont été publiées dans différents supports de presse aux mois de mars et d’avril 2020.
Dès le premier texte, l’auteure interroge sa pratique de l’écriture. Elle subit, comme nombre d’auteurs, les affres de la page blanche en période de confinement, et comprend que « si l’écriture se fait dans la solitude, elle ne se fait pas dans le vide. »
Ce vide, celui provoqué par l’arrêt de toute vie économique sociale et culturelle, l’amène à quitter Paris, « ville (…) malade (dont elle n’est pas) présente au chevet (…) »
Ce vide et cette absence interrogent le vide et l’absence de notre propre vie et ceux de nos pratiques.
Hors-Sol, elle « explore » dans ces chroniques, « quelques implications et réverbérations de ce fragment de sagesse traditionnelle bantoue : je suis parce que nous sommes »
Textes lumineux, engagés et engageants, ils interrogent notre relation au monde, à la nature, à l’autre et aussi le sens de nos pratiques quotidiennes dans ce qu’elles révèlent de nos abandons, de nos reniements et de notre cécité, volontaire parfois.
Le lecteur, s’il se réjouit à la lecture de ces textes, ne s’en trouve pas moins confronté à ses responsabilités dans l’état du monde tel qu’il est aujourd’hui et tel que la pandémie du Covid 19 montre ce que nous sommes capables d’en faire (ENFER).
Pour autant, Nancy Huston ne se cantonne pas à une écriture punitive, elle laisse son libre arbitre au lecteur, puisque, si elle en fait un potentiel responsable, elle en fait en même temps un potentiel sauveur.
Ses raisonnements nous poussent à la réflexion et à la remise en cause de nos savoirs et des fausses certitudes qu’ils nous ont inculqués au fil des siècles.
L’homme civilisé nomme et qualifie les choses et les animaux pour les contraindre, les domestiquer et les exploiter à son profit. Il est incapable de penser « La vache est donc réellement notre soeur, d’une certaine façon, et la Terre, notre mère ? » Peut-être aujourd’hui considérera-t-il différemment l’homme naturel qui voit la faune et la flore comme des éléments d’un tout dont il fait aussi partie, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs…
Quelques exemples dont les textes (mais aussi l’actualité récente) regorgent :
« Notre PQ est fait de cellulose c’est-à-dire d’eucalyptus végétal dont les plantations en monoculture ont nécessité la déforestations de grands pans de l’Amazonie (…) »
« La fabrication de nos sympathiques petits smartphones empêche des centaines de milliers de jeunes Chinoises de poursuivre leur scolarité au-delà de l’adolescence »
« Le monde est devenu cette grosse boule d’interdépendances maladives, où les riches exploitent (…) et rendent les classes moyennes dépendantes de toute sorte de produits criminels à l’apparence innocente. »
« Nettoyage éthique » répond Nancy Huston, en reconnaissant que dans le « Délire Destroy » des trente glorieuses, elle a contribué – largement, tranquillement, stupidement – à conduire le monde au bord du gouffre. »

Texte souvent iconoclaste, prenant à rebours les évidences et les contre-vérités, ces chroniques anachroniques sont bel et bien des textes contemporains à lire et faire lire.

J’ai retenu cette phrase comme conclusion 
« Ce n’est pas la Covid 19 qui doit nous effrayer, c’est le CAC 40 »


Des lavis du peintre Quebecquois Edmund Alleyn (1031-2004) illustrent les propos de l’auteure.

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