Le Facteur Cheval

22 septembre 2019
Le rêve d’un fou de Nadine Monfils
«Cheval. Je m’appelle Ferdinand Cheval. Je t’ai choisie parce que tu as le coeur en morceaux. Je sais qui tu es. Quiconque entre dans mon Palais perd ses repères et redevient un enfant. Quand tu sortiras d’ici, tu ne seras plus jamais la même. Ton esprit aura des ailes et tu verras ton âme dans les miroirs. Maintenant, assieds-toi, dos au mur, ferme les yeux et écoute-moi.»
Comme Nadine Monfils, et comme certainement beaucoup de peits français, j’ai visité avec mes parents, le Palais du facteur Cheval alors que j’avais quinze ou seize ans.
Cette visite ne laisse pas indifférent, comme l’affirme avec justesse la citation de Ferdinand Cheval.
Délaissant son style habituel et ses histoires déjantées, Nadine Monfils nous livre une histoire qui la concerne au plus haut point. Elle se livre en faisant parler Ferdinand Cheval, sans prétendre faire un travail d’historienne et restituer la véritable histoire de la construction du palais. Il y a des tonnes d’ouvrages sur le sujet…
Elle se contente de faire parler l’homme, terrassé par les décès successifs dans sa famille, son fils, sa fille, puis sa femme, son ami,…qui recrée avec la construction de son palais la réalité qui lui a échappé dans la vraie vie, la réalité qu’il appelait de ses voeux.
«Fils de paysan, paysan moi-même, j’ai voulu vivre et mourir pour prouver que, dans ma catégorie, il y a aussi des hommes de génie et d’énergie. le travail fait ma gloire et l’honneur, mon seul bonheur. 
En cherchant, j’ai trouvé. Quarante ans j’ai pioché pour faire jaillir de terre ce Palais de fées. Pour mon idée, mon corps a tout bravé, le temps, la critique, les années. La vie est un rapide coursier, ma pensée vivra avec ce rocher.»
La voix de Ferdinand vu par Nadine Monfils ne se contente pas de restituer le passé, elle donne un avis sur ce qu’il adviendra de son palais dans le futur :
«D’ailleurs, il a bien failli être démoli. C’est grâce à Malraux qui l’a classé monument historique en 1969, (…) après ma mort, de nombreux artistes ont fait référence à mon oeuvre, et non des moindres ! Ainsi, Picasso se rendait chaque année à Hauterives pour admirer mon Palais. Il fut également encensé par Max Ernst, Paul Eluard, André Breton et bien d’autres…»
Ferdinand nous interpelle également, nous qui rêvons devant son palais mais sommes incapables de rêver :
«Ne plus croire aux contes de fées, c’est piétiner les rêves, tomber dans le néant, devenir adulte. Et Dieu sait combien je les ai fuis ces gens « raisonnables » et ennuyeux. Pas mon monde. Méfie-toi de ceux qui savent, ce sont des fossoyeurs de bonheur.»
La force du roman de Nadine Monfils est, à mon sens, de restituer l’esprit du Facteur Cheval en donnant au lecteur des clefs de lecture sans l’enfermer dans les habituels lieux communs sur le palais idéal.
Un livre très court, très fort, très juste, dont la philosophie dépasse celle d’un roman «feelgood» pour nous interroger sur notre relation à l’autre, notre rôle et notre apport dans le monde. Plus qu’un solitaire ou un égoïste prisonnier de ses rêves, Cheval est à sa façon une sorte de lanceur d’alerte.
Merci à Nadine Monfils d’avoir réveillé en nous l’esprit du Facteur Cheval.

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